Orée et Vigéo viennent de présenter les résultats d'une enquête auprès des entreprises pour voir dans quelles mesures elles intègrent aujourd'hui dans leur stratégie leur impact sur la biosphère et sur la société.

En soi, qu'une association comme Orée sur le développement durable et une agence de notation comme Vigeo s'associent pour une telle enquête est intéressante. Le résultat, on s'en doutait : si le souci de cet impact est assez largement partagé il demeure très exceptionnel que cette question soit vraiment intégrée dans la stratégie de l'entreprise. C'est plus pour elles le souci de leur réputation qui les pousse à agir que la volonté -et en auraient-elles la capacité ?- de transformer en profondeur leur modèle économique pour aller vers les sociétés durables. C'est bien là la limite de la RSE et du discours sur la responsabilité sociale : on risque d'en faire surtout un élément de la politique de la communication de l'entreprise ; le fait que le futur de l'entreprise dépende du futur de la biosphère ne conduit pas aujourd'hui à des comportements coopératifs mais pousse plutôt chacune à se comporter en « passager clandestin de la biosphère ». Ne boudons pas notre plaisir : le plus grand voyage par un pas et le fait que l'impact sur la biosphère devienne déjà une préoccupation des entreprises est un point de départ. Au moment où, progressivement, certaines vont s'intéresser à la norme ISO 26000, qui les obligera à décrire leur impact sociétal, il faut voir quelles peuvent être les procahines étapes. Trois choses me frappent :

1) Le parallèle à faire entre les villes et les entreprises. Dans les villes aussi le discours sur le "développement durable" est omniprésent mais rare sont les villes, comme rares sont les entreprises qui ont assumé le fait qu'il faudrait radicalement modifier leur gouvernance pour ne pas faire simplement "développement durable" un département de plus à créer dans l'organigramme de la ville ou de l'entreprise. Mais plus encore villes et entreprises connaissent très mal leur métabolisme d'ensemble. Dans un système entièrement monétarisé, elles savent mal ce qui rentre, ce qui sort, ce qui circule en leur sein, qu'il s'agisse d'énergie, d'argent, de matières premières ou d'information. Tant qu'on ne se dote pas d'outils pour comprendre et se représenter ces métabolismes on n'avance pas beaucoup.

2) Il faut passer de l'entreprise à la filière. Une entreprise ne peut se prétendre durable que si l'ensemble de la filière, depuis l'approvisionnement jusqu'aux consommations finales est durable. Il faudra bien un jour réorganiser le commerce international autour du concept de filières durables. Regardez Apple : vous fréquentez ces magasins chic et choc et tout vous paraît cline, mais derrière, le principal fournisseur d'Apple est Foxconn, une entreprise chinoise à capitaux taïwanais qui place des grilles aux fenêtres des dortoirs collectifs de ses ouvrières pour éviter qu'elles ne se suicident. Tant qu'on ne parlera pas de co-responsabilité solidaire des différents acteurs d'une filière, on nagera dans l'hypocrisie.

3) Trop souvent, depuis le mouvement de la RSE jusqu'au global compact lancé par les Nations-Unies, quand les entreprises parlent de responsabilité c'est pour souligner qu'elles préfèrent les engagements volontaires à des obligations imposées par la loi. L'étude de Orée et Vigeo est très intéressante de ce point de vue, elle n'hésite pas à dire au contraire comportement responsable et obligations normatives se renforcent mutuellement. Et là, on pointe le trou béant du droit international : en l'absence d'une Déclaration universelle des responsabilités humaines fondant un droit international régissant l'impact de chaque acteur au-delà de son propore périmètre, les comportements des grandes entreprises, des grandes banques et des Etats resteront fondamentalement irresponsables. C'est la question soulevée par le Forum Ethique et Responsabilité.