Le gouvernement français prépare une troisième loi de décentralisation. Et l'Europe, ayant compris qu'il ne peut y avoir de monnaie commune sans une autorité politique commune, cherche laborieusement à la créer. En apparence, rien à voir. D'un côté une réforme interne ; de l'autre un nouveau pas vers des États-Unis d'Europe. Mais en fait, les deux questions sont intimement liées.

D'abord parce que c'est l'État et la conception traditionnelle de l'État souverain, dans un pays centralisé comme la France où la scène politique nationale semble la seule qui compte, qui est en cause et qui est le principal facteur de résistance au changement. Ayant perdu, avec le marché unique européen et avec la mondialisation une part de ses capacités d'action, il s'accroche à ses prérogatives. C'est le même État qui pousse à transformer l'Europe en une « Europe des Etats », où le Conseil européen est la seule instance de décision qui compte, renvoyant la Commission européenne et le Parlement à un rôle accessoire, et qui résiste à tout véritable renforcement des Régions, le véritable niveau de décision à l'échelle des défis du monde contemporain.

Mais il y a plus important encore : dans les deux cas, celui de l'intégration européenne et celui de la décentralisation, c'est la pensée classique sur la gouvernance qui est en cause. Jusqu'à présent, on a fait comme s'il était indispensable, pour qu'une démocratie fonctionne, de savoir qui est responsable de quoi , donc d'attribuer à chaque niveau de gouvernance des compétences exercées de manière exclusive : les écoles aux communes,les collèges au département, les lycées aux régions, les unversités à l'État, les règles de concurrence à l'Europe, etc... Ça ne marche plus.

Aucun problème réel de nos sociétés ne peut se traiter correctement à un seul niveau. C'est vrai pour l'énergie, l'environnement, la cohésion sociale, le financement du développement, la politique économique, le développement durable. Tirons en les conséquences : une gouvernance adaptée au 21ème siécle est une gouvernance où les différents niveaux de gouvernance ont des compétences partagées et ont su définir le principe de coopération entre eux. C'est ce que l'on appelle le principe de subsidiarité active : les niveaux supérieurs fixent les principes directeurs de l'action, qui découlent de l'échange d'expérience ; les niveaux d'en dessous choisisent librement les moyens de mettre en œuvre ces principes. C'est ainsi qu'on obtient le maximum d'unité et le maximum de diversité.

Les régions européennes ont été les premières à le comprendre, avec la publication par le Comité des Régions du Livre blanc sur la gouvernance à multi-niveaux. Espérons que le gouvernement français en fera son livre de chevet pour concevoir la loi de décentralisation.

Et ce principe s'applique aussi à l'économie : arrêtons d'opposer marché unique fondé sur une monnaie européenne, l'euro, au retour à des monnaies nationales. Au contraire, considérons qu'il faut pour une Europe prospère une diversité de monnaies reliées entre elles, de l'euro à des monnaies locales en passant par des monnaies régionales, pour permettre d'organiser plusieurs niveaux d'échange. C'est le bon sens même et la généralisation de la monnaie électronique rend facile cette cohabitation. Seule la paresse intellectuelle et la force de l'habitude nous empêchent de nous engager vers cette voie.