Le pessimisme français: un reflet de la crise de la démocratie
Par Pierre Calame le jeudi 31 janvier 2013, 16:58 - Lien permanent
Croire que l'engouement pour les élections présidentielles, le taux d'écoute des débats télévisés ou le haut taux de participation au vote étaient le signe d'une démocratie vivante était une illusion: au même moment les enquêtes montraient que seule une petite minorité des électeurs croyait que leur vote changerait quoi que ce soit à leur vie.
La récente enquête de l'IPSOS, montrant la défiance généralisée des Français à l'égard du monde politique et médiatique et leur pessimisme à l'égard de l'avenir, dela mondialisation, avec la tentation de repli sur soi, voire de populisme qui en découle fait couler des flots d'encre et de parole. Mais il ne faudrait pas en rester, autre spécialité française, à de savantes analyses. Disons ce qu'il faut faire pour en sortir et essayons de le faire.
Les résultats de l'enquête ne m'ont pas surpris. C'est la conscience du drame en train de se jouer qui m'a conduit à écrire au printemps une lettre ouverte aux candidats à la Présidence, devenue le livre « Sauvons la démocratie ». Jean Paul Dellevoye, président du Conseil économique et social avait déjà tiré la sonnette d'alarme : la France est fatiguée. Les Français, dans leur grande majorité, ont à la fois perdu confiance dans leurs élites politiques, dans leurs propres voisins et finalement en eux mêmes. Ils se méfient de tout. Croire que l'engouement pour les élections présidentielles, le taux d'écoute des débats télévisés ou le haut taux de participation au vote étaient le signe d'une démocratie vivante était une illusion: au même moment les enquêtes montraient que seule une petite minorité des électeurs croyait que leur vote changerait quoi que ce soit à leur vie.
En s'enfermant dans le court terme et dans l'espace national, en exaltant les différences supposées de la droite et de la gauche, en s'excitant sur de présumés débats de société, hier l'identité nationale aujourd'hui le maraige pour tous, dont le seul effet tangible est de ressuciter de vieux clivages ou d'en créer de nouveaux, le monde politique s'éloigne de sa mission essentielle: inscrire la France dans un monde en train de se construire, concevoir et conduire la grande transition vers de ssociétés durables, passer de modes de pensée et d'institutions vieux souvent de plusieurs siècles à ceux qui nous permettront de comprendre et d'agir dans le monde d'aujourd'hui et de demain.
Les commentateurs de l'enquête ont cru pointer une contradiction: les Français aspireraient à la fois à plus d'autonomie et à être guidés par un "vrai chef". La contradiction ne résulte pas de ces aspirations elles mêmes mais de l'incapacité de notre système de pensée à les concilier. Le besoin d'un"chef" n'est pas le besoin d'un adjudant ! c'est le besoin, accru dans les périodes de transition, d'un leader capable d'éclairer les voies du long terme, dé désigner les mutations à conduire, d'unir les énergies derrière des perspectives communes, de proposer les premiers pas crédibles dans cette direction. Nous n'avons pas besoin, sous prétexte que ce serait le signe d'une démocratie forte, d'une opposition permanente entre des prétendues "vraie droite" et "vraie gauche". Nous avons besoin au contraire de construire patiemment des consensus sur les grandes réformes nécessaires, de l'Etat, de l'éducation, de l'économie. Car ces réformes prendront chacune plusieurs décennies et aucune ne peut résister à de constantes alternances, à ces logiques de Pénélpe où l'on ne garde qu'en cachette les réformes du prédécesseur.
Dans ces conditions, la noblesse du politique serait de construire les conditions d'une réflexon collective de la société sur elle même, dans une approche "de bas en haut" partant de chaque territoire, nourrie des expériences des uns et des autres, en France et à l'étranger. Arrêtons de nous jeter au visage les modèles scandinave, allemand, américain, dont chacun ne prend que ce qui nourrit sa position partisane; multiplions à l'intention de citoyens de mieux en mieux informés les analyses partielles qui, sans être données en exemple, sont autant de stimulants à la réflexion collective.
Conduire une stratégie, ce n'est pas fabriquer d'élection en élection des programmes additionnant des mesures circonstancielles qu'on se croit en devoir de mettre en oeuvre une fois élu, comme si c'était sur la base de ce programme que s'était faite la différence. Conduire une stratégie, c'est identifier quelques grands défis qui serviront de cap pendant des décennies, donneront une intelligibilité partagée du monde, permettront d'organiser les synergies et de trouver, à chaque instant ,des réponses appropriées aà un contexte mouvant.
Ces grands défis, tout le monde au fond les connait. Il faut d'abord,face à l'interdépendance entre les sociétés et avec la planète, construire la conscience d'un destin commun avec les autres régions du monde, en sachant par exemple que nous irons, soit pacifiquement soit par la guerre -le choix est entre nos mains- à une redistribution plus équitable des ressources rares. Il faut ensuite repenser l'éthique et le droit, àcommencer par le droit international, en fonction de cette réalité des interdépendances qui fait de la responsabilité la valeur centrale du vingt et unième siècle. Il faut, en troisième lieu, repenser de fond en comble la gouvernance des sociétés, en prenant conscience que les institutions et règles qui structurent la gouvernance actuelle, héritées de l'histoire, ne correspondent plus à la réalité du monde de demain; l'absence de débat sur l'acte trois de la décentralisation est une belle illustration d'une nouvelle occasion manquée. Il faut enfin repenser de fond en comble notre système économique de façons à ce que le bien être pour tous ne soit pas obtenu au détriment de la sauvegarde de la planète; et l'on peut craindre que le débat étriqué qui s'engage sur l'énergie soit aussi une occasion manquée.