ISO 26000, un remède de cheval contre l'irresponsabilité
Par Pierre Calame le Dimanche 17 février 2013, 12:02 - Lien permanent
Comme il est fréquent chaque fois qu'une filière implique un grand nombre d'acteurs, chacun croit, de bonne ou de mauvaise foi, en tout cas par paresse d'esprit, hypocrisie ou souci d'économie, que l'acteur précédent dans la chaine qui va des producteurs aux consommateurs a veillé sur toutes les étapes précédentes, dégageant finalement chacun de sa propre responsabilité.
Les lasagnes à la viande de cheval. Emballement médiatique. Intéressant que ça fasse la première page des journaux et l'information phare en prime time. Est-ce dérisoire? non à en croire les attitudes des consommateurs. A fortiori, comme le disait Corinne Lepage à la radio, parce que cette annonce de la fraude coïncide avec la décision de la Commission européenne d'autoriser à nouveau les farines animales pour nourrir les poissons d'aquaculture.
Les deux problèmes majeurs posés par l'affaire de la viande de cheval dans les lasagnes et autres plats cuisinés sont l'absence de traçabilité dans les filières internationales et l'irresponsabilité qui en résulte pour chacun des acteurs pris en particulier. Comme il est fréquent chaque fois qu'une filière implique un grand nombre d'acteurs, chacun croit, de bonne ou de mauvaise foi, en tout cas par paresse d'esprit, hypocrisie ou souci d'économie, que l'acteur précédent dans la chaine qui va des producteurs aux consommateurs a veillé sur toutes les étapes précédentes, dégageant finalement chacun de sa propre responsabilité.
En cela, l'irresponsabilité de chacun qui résulte de la dilution des responsabiltés dans un jeu collectif, me fait penser à l'irresponsabilité déjà constatée à propos de l'autorisation des nouvelles plantes génétiquement modifiées. Chacun est prêt à rejeter l'irresponsabilité de l'ensemble sur un autre maillon de la chaine que sur lui-même, feignant de ne pas voir que l'objectif même du dispositif est de diluer l'idée de responsabilité.
Il est vrai que plus les filières sont mondiales et plus la territorialité du droit fait obstacle à l'établissement d'un système responsable. Si, en effet, faute de confiance dans les modalités de contrôle exercées dans le pays voisin on en venait à refaire les contrôles à chaque nouvelle étape de la filière, le coût cumulé de ce contrôle en viendrait à annuler les avantages théoriques de ce système de compétition « dans un monde devenu plat », où l'espace s'efface au profit d'une mise en concurrence généralisée, permettant, en principe, une meilleure possibilité d'optimisation des choix pour chaque acteur. C'est ce que nous révèle le rôle déterritorialisé des courtiers dans l'affaire de la viande de cheval, qui n'est pas sans faire penser à ce qui se passe dans le monde de la finance où, à force de mutualiser les risques par la titrisation des dettes, on en est venu à ignorer ces risques mêmes, comme on l'a vu avec les subprimes.
On ne peut dépasser cette contradiction entre le caractère international des filières et le caractère national du droit que de deux manières : en renonçant aux filières internationales ou en internationalsant le droit. Il est probable que dans un premier temps les consommateurs, échaudés par le scandale, choisiront la première solution et vont souhaiter en revenir à des filières plus courtes, dont la traçabilité soit plus avérée et le système de contrôle moins dilué et plus transparent. Mais les règles du commerce international étant ce qu'elles sont, il est à craindre que ce souhait du consommateur n'influence qu'en surface un système de production déjà si profondément internationalisé.
Reste la seconde solution. Elle comporte une voie longue et une voie courte, l'une renforçant l'autre. La voie longue est celle de la transformation du droit. Elle est inéluctable à terme :L'échelle des régulations doit être aussi celle des interdépendances. Cela suppose la construction progressive d'un droit international de la responsabilité dont la première étape sera l'adoption d'une Déclaration universelle des responsabilités humaines. Mais les Etats vont résister car c'est leur propre responsabilité internationale qui serait la première invoquée, ce qu'ils ne souhaitent surtout pas comme l'a montrée la médiocrité coupable de la conférence Rio+20.
La voie courte est d'utiliser toutes les potentialités de la norme ISO 26000, adoptée en 2010 par un grand nombre d'Etats. Cette norme non obligatoire et de nature indicative impose sur la scène publique et sur la scène économique le concept de responsabilité sociétale. Alors que la « responsabilité sociale et environnementale des entreprises » peut, assez hypocritement circonscrire celle ci au périmètre de l'entreprise elle-même, la responsabilité sociétale oblige à considérer l'ensemble de la chaine de production et à prendre en compte l'action des filiales, sous traitants et fournisseurs. On passe ainsi de l'addition des responsabilités à une co-responsabilité solidaire des acteurs. Ce qui ouvre la voie à ce qui sera décisif dans la transition vers de sociétés durables : la définition de filières durables comme base du commerce international.
Le remède de cheval à la crise de confiance est là : faisons de l'adoption de la norme ISO 26000 un critère décisif de nos achats. Demandons aux distributeurs d'en faire un critère essentiel de leur choix des fournisseurs et de leur publicité. On verra alors s'amorcer un profond changement d'attitude dans les entreprises.