Après les élections en Italie : il faut sauver le soldat Europe
Par Pierre Calame le Lundi 4 mars 2013, 11:59 - Lien permanent
Cette fois, selon l'expression suisse, « il y a le feu au lac », il va bien falloir que les gouvernants européens comprennent qu'un cycle historique se termine, celui de l'intégration européenne par l'unification du marché.
Les élections italiennes provoquent une onde de choc en Europe, révélant le désamour croissant à l'égard d'une Union européenne réduite à un vaste marché ouvert à tous vents et dont la zone euro se réduit à une discipline de l'austérité et du chômage.
Il est intéressant de constater qu'on est aussi ennuyé de cette crise ouverte de l'UE, cette fois politique et citoyenne, à l'extérieur de l'Europe qu'à l'intérieur, tant cette intégration économique régionale est à la fois prototype des intégrations à venir dans d'autres régions du monde et débouché commode pour toutes les régions qui veulent exporter vers les pays européens.
Cette fois, selon l'expression suisse, « il y a le feu au lac », il va bien falloir que les gouvernants européens comprennent qu'un cycle historique se termine, celui de l'intégration européenne par l'unification du marché. Dès lors que tous les grands pays du monde sont intégrés dans l'OMC, l'unité du marché européen ne suffit pas à distinguer une entité européenne, à construire une communauté de destin.
Regardez les réactions italiennes ou espagnoles face à l'Allemagne. Cela conduit-il aujourd'hui à de vrais et profonds échanges entre citoyens du sud et du nord de l'Europe, comme on s'y attendrait dans une véritable communauté ? Non, tout est médiatisé par les Etats, par les chefs de gouvernement, réduisant du même coup le débat à l'affrontement des intérêts nationaux.
Mais trève de pleurnicheries. Voila une série de pistes concrètes pour sortir de l'ornière.
1. La gouvernance européenne: promouvoir une gouvernance à multi-niveaux. Le concept a été promu par le livre blanc du Comité des régions européennes et a été largement adopté dans son principe mais encore peu mis en pratique. Il est essentiel pour sortir l'Union de sa paralysie et va bien au delà des marges d'adaptations nationales des directives européennes. Aucun problème sérieux de notre temps ne peut être traité à un seul niveau. Le principe de « subsidiarité active » en est la traduction pratique. Malheureusement, la France est en retard pour l'adoption de ce principe qui devrait fonder l'acte trois de la décentralisation. C'est aussi ce qui va ressortir du débat national sur l'énergie, actuellement en cours.
2. Repenser le projet européen : de quelle Europe le monde a-t-il besoin ? Si chacun s'accorde sur la nécessité de redonner un souffle à l'Europe, notre ap proche reste trop souvent nombriliste et centrée sur l'Europe que nous voulons. Mais l'UE, malgré sa faiblesse politique, reste un acteur mondial essentiel, voire l'acteur mondial essentiel dès lors qu'il s'agit de repenser la place des régions du monde dans un système planétaire interdépendant, et sans doute, justement du fait de sa diversité et du fait de la rareté de ses ressources naturelles, le mieux placé pour animer la réflexion mondiale sur le nouveau modèle de développement. L'Europe dont le monde a besoin est une Europe qui montre la voie de la transition vers des sociétés durables, l'inspiratrice d'un nouveau siècle des lumières intégrant la question de la biosphère dans une nouvelle pensée sur la science et l'économie
3. Construire la relation entre sociétés du monde : le prototype du Forum China Europa L'échec de la Conférence Rio+20 a confirmé l'incapacité des Etats, tous obsédés par leur souveraineté ou par les lambeaux qui en restent, à définir le bien commun mondial et à assurer les relations de coopération et de connaissance mutuelle entre sociétés des diffférentes régions du monde. Or cette inter-connaissance est indispensable pour que chacune consente les sacrifices mutuels qui sont les conditions d'une paix durable. L'exemple des tensions entre la France et la Chine sous la présidence de Sarkozy a montré que quelques maladresses suffisaient à faire s'exprimer un ressentiment né de l'histoire. Et l'on ne peut surmonter ce ressentiment que par la pratique du dialogue et la découverte que « ce qui nous réunit est plus important que ce qui nous sépare »L Cet apprentissage est l'objet du Forum China Europa. Les plus hautes autorités européennes disent désirer ce dialogue mais en réalité les procédures européennes ne permettent pas de le soutenir réellement. L'implication de la France serait ici décisive.
4. Créer un espace public de débat entre citoyens européens. Lors de la consultation préalable au livre blanc sur la gouvernance européenne, en 2000, les Chaires Jean Monnet, qui réunissent des spécialistes de l'Europe avaient pointé du doigt une question capitale : si l'Europe parait si lointaine aux citoyens, son fonctionnement si opaque, c'est parce qu'il n'y a pas de scène publique où débattre des enjeux et les clarifier. Treize ans après, nous en sommes toujours là. Il suffit de comparer avec la blogosphère chinoise ; la Chine n'est pas une démocratie mais internet et le développement des blogs ont fait que se construit sous nos yeux une véritable scène publique et nous en bénéficions d'ailleurs, en tant qu'Européens quand il s'agit d'échanger avec l'opinion publique chinoise sur des sujets d'intérêt commun. Rien de tout cela dans l'UE. La Commission a toujours préféré la communication descendante : on prétend « vendre » aux citoyens l'importance de l'Europe pour eux et des bienfaits dont ils sont de plus en plus nombreux à douter, là où il faudrait se soucier au contraire de permettre aux citoyens de débattre entre eux. Il est vrai que le multi-linguisme est un obstacle que ne rencontre pas le public chinois dans les échanges écrits. Mais la seule tentative en Europe, Euractiv est conçue comme un système commercial, destiné en fait à ceux qui sont déjà familiers de l'Europe. Et c'est aussi le cas de la quasi-totalité des aides européennes à des réseau x: elles vont en réalité à ceux qui sont déjà des familiers de l'UE, renforçant encore la coupure entre une minorité de citoyens pratiquant l'espace européen et une vaste majorité pour qui l'UE semble plutôt une menace.
5. Fonder l'Union Européenne sur une Déclaration universelle des responsabilités humaines. Lors des débats sur le « traité constitutionnel », l'idée que la responsabilité était au coeur de l'éthique européenne a été à un moment donné inscrite dans le projet de préambule. mais elle a disparu des versions suivantes. Or on ne fonde pas durablement une communauté humaine sur des convergences d'intérêt, convergences toujours limitées et souvent circonstancielles. On le voit bien avec le cas anglais ! Une communauté est fondée sur des valeurs partagées. La seule valeur partagée par les Européens aujourd'hui est celle des droits de l'homme. C'est très bien mais c'est insuffisant car l'affirmation des droits des individus est impuissante à gérer les interdépendances entre les individus, entre les sociétés, entre l'humanité et la biosphère. C'est la responsabilité qui sera au cœur de l'éthique du vingt et unième siècle. C'est elle qui fonde le contrat social. or, s'il y a bien une caractéristique de l'UE c'est de fonder la société sur le contrat social et non sur une transcendance admise par tous ou sur la contrainte. D'où l'enjeu que l'UE retrouve sa vocation historique d'éclaireur des principes éthiques universels en commençant par adopter pour elle même le principe de l'universalité des responsabilités humaines et en étendant à ce principe la compétence de la Cour européenne des droits de l'homme.
6. Organiser une Assemblée européenne de citoyens. Depuis l'élargissement rapide de l'UE, qui est la rançon de son succès, l'UE s'est faite par les institutions plutôt que par les peuples. Le projet européen est construit par des technocrates de l'Europe, seraient-ils élus, non par la conscience des citoyens européens de former une communauté de destin. D'où le sentiment que ce qui s'est fait peut être défait à tout moment et que seules les conséquences économiques d'un éclatement de l'Europe et de la zone Euro en interdit l'éventualité. Encore que le référendum promis par Cameron aux citoyens de l'UK montre qu'il n'y a plus de tabou en la matière. La fonction majeure de la gouvernance n'est pas de gérer une communauté instituée mais d'abord et avant tout d'instituer une communauté. C'est l'enjeu d'un vaste processus de dialogue que l'on appelle Assemblée de citoyens.
7. Créer de nouveaux mécanismes monétaires seuls à même de concilier rigueur budgétaire et croissance. Le Président Hollande a fait d'un nouveau pacte européen conciliant rigueur budgétaire et croissance un de ses principaux arguments de campagne. Sauf qu'il n'a pas la moindre idée de la manière d'y parvenir. Avec les outils classiques de régulation économique en usage en Europe il n'ya aucun moyen de concilier toutes les contraintes à la fois. Seule une double révision de notre conception des monnaies, avec le développement de monnaies régionales et avec la création d'une « monnaie énergie », permettra de résoudre cette quadrature du cercle.
8. Inviter le Parlement européen à un vaste débat sur la manière dont l'Europe peut relever les défis majeurs du vingt et unième siècle. En 2009, j'ai soumis aux nouveaux parlementaires européens « dix huit propositions pour l'Europe ». Mais il n'existe au Parlement aucun espace pour une réflexion d'ensemble sur le projet européen ! Le travail du Parlement reproduit, à travers ses commissions, la fragmentation aujourd'hui dramatique de la Commission européenne en DG qui travaillent indépendamment l'une de l'autre quand ce n'est pas en concurrence. Il est impératif, à l'occasion de la préparation des élections de 2014, de réhabiliter le rôle du Parlement en faisant, pour commencer, en sorte que les candidats de l'actuelle majorité plurielle soient porteurs d'une autre vocation pour le Parlement et soient porteurs de propositions concrètes pour relever les défis de l'avenir.