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Par la tribune intitulée « conférence sur le climat : à Lima il faut aller plus loin », publiée dans Le Monde du 10 décembre, Christian Gollier, Pierre André Jouvet, Christian de Perthuis et Jean Tirole donnent une légitimité économique à une vérité d'évidence : seul un plafonnement mondial des émissions annuelles est de nature à respecter l'impératif reconnu par l'ensemble de la Communauté internationale d'une augmentation de la température moyenne de 2° d'ici 2100. Le reste est littérature.

Les travaux de Giraud et Joncovici ont montré que le lien entre croissance économique et consommation d'énergie fossile n'a jamais été rompu. Avec nos outils économiques actuels, le fameux « découplage » est un mythe. Si l'efficacité énergétique de l'économie européenne a progressé c'est avant tout parce que l'Europe importe les biens dont la production est la plus consommatrice d'énergie et qui représentent aujourd'hui le tiers de notre consommation totale d'énergie. Et d'ailleurs comment le découplage aurait-il pu se produire ?

Par la raréfaction de l'offre en énergie fossile et l'augmentation de son prix ? Cette augmentation se traduit toujours d'abord par un endettement des pays consommateurs puis par un ralentissement de leur croissance et l'exemple du gaz de schiste montre les efforts faits pour augmenter l'offre et relancer la machine économique.

Par une taxation de l'énergie ? Une fausse bonne idée comme l'ont montré de façon politiquement œcuménique les deux tentatives avortées en France. Fausse bonne idée pour trois raisons : une taxation qui ne serait pas mondiale se traduit avant tout par une délocalisation supplémentaire des industries ; il faudrait pour peser sur les arbitrages de consommation des niveaux de taxation politiquement intenables ; enfin et surtout c'est un impôt régressif, frappant plus durement les ménages déjà en précarité énergétique car la part du budget énergie est d'autant plus élevée que les ménages sont pauvres.

En vérité, il est absurde de parler de découplage tant que l'on utilise une seule et même monnaie pour payer ce qu'il faut stimuler, le travail humain, la créativité, l'échange, et ce qu'il faut épargner, l'énergie fossile. C'est comme si on voulait conduire une voiture où frein et accélérateur sont une seule et même pédale ! Le meilleur moyen d'aller dans le mur.

Si l'on veut limiter à 2° le réchauffement climatique d'ici la fin du siècle cela implique de déterminer la quantité totale de CO₂ émis d'ici 2100 et répartir ces émissions entre les quatre-vingt six années qui restent à courir, avec une trajectoire aboutissant en 2100 à des émissions zéro. Ce qui détermine année par année le plafond d'émissions, donc les quotas à répartir entre les pays, entre les territoires et entre les personnes.

Cette répartition doit être égale pour tous. Pour trois raisons. La première est que le climat est un bien commun mondial ; la seconde qu'il est juste que les pays les plus économes, en général tout simplement les plus pauvres, puissent tirer parti de leur sobriété ; la troisième est que sans les puits de carbone, essentiellement les océans, qui absorbent les trois quarts des émissions, notre planète serait déjà devenue, pour utiliser l'expression de Michel Rocard, une poële à frire ; or le système économique actuel revient à ce que les grands consommateurs d'énergie s'approprient ces puits.

Les quotas distribués constituent la monnaie énergie. Il en découle que tout achat doit se faire en deux monnaies (ce qui est devenu élémentaire avec la monnaie électronique et que chacun pratique tous les jours avec les points de fidélité) : la monnaie énergie, où l'on déduit du quota la quantité totale d'énergie incorporée dans le bien ou le service qu'on achète ; la monnaie classique pour le reste.

De même que la TVA a eu pour conséquence de totaliser la valeur ajoutée tout le long du processus de production, la monnaie énergie créera instantanément des mécanismes de totalisation de l'énergie fossile mobilisée tout au long du processus de production.

Contrairement à la taxation, le système des quotas négociables est socialement progressif, donnant la possibilité aux pays, aux territoires et aux ménages les plus pauvres de vendre fort cher aux riches les quotas qu'ils n'auront pas eux mêmes consommé. Ce qui règle, soit dit en passant, a fortiori si c'est combiné avec un impôt mondial à la source sur l'énergie fossile, les serpents de mer du financement par les pays riches de l'effort d'adaptation des pays pauvres au changement climatique et du financement des transferts technologiques.

L'organisation de la répartition des quotas au niveau national, territorial et individuel conduira notamment à renforcer le rôle des territoires et des villes dans la transition vers des société durables.

Cette rupture dans les modes d'approche devra s'accompagner de ruptures dans l'ordre juridique. Aujourd'hui, le climat n'existe pas en droit. Son évolution n'est pas gouvernée. Elle n'est que le résultat de tractations obscures entre puissances. Le récent accord bilatéral entre Chine et USA, selon des méthodes qui doivent plus au dix-neuvième siècle qu'au vingt-et-unième, en est une parfaite illustration. Il faut faire du climat un bien commun mondial, dont la gouvernance doit être définie et les responsabilités partagées. Cette gouvernance sera aussi celle d'une banque centrale émettant la monnaie énergie -les quotas- et la répartissant.