Le livre « Metamorphoses de la responsabilité et contrat social » vient de sortir en librairie. Vous en trouverez ci-joint la quatrième de couverture. C'est, après le "Petit traité d'oeconomie" paru en 2018, le deuxième des quatre livres consacrés chacun à un des quatre grands défis du 21e siècle.

La responsabilité se situe au confluent des valeurs et du droit. La grande juriste Mireille Delmas Marty m’a fait l’honneur de préfacer le livre (voir ci-joint sa préface et le résumé de l’ouvrage). J’y expose la manière dont les travaux de l’Alliance pour un monde responsable et solidaire ont conduit, dès la fin du 20e siècle, à conclure que l’on ne parviendrait pas à gérer nos interdépendances planétaires sans se mettre d’accord avec les autres civilisations et sociétés sur des valeurs communes et que la responsabilité, valeur commune au cœur de toute communauté humaine, serait la colonne vertébrale de l’éthique du 21ème siècle.

L'écriture du livre est antérieure à la pandémie du Covid 19 mais elle lui confère une singulière actualité mettant en lumière la fragilité et les conséquences de la globalisation économique développée à marche forcée depuis les début des années 80, avec des filières mondiales donnant un quasi monopole de production à certains pays, à l’autre bout du monde, qui nous prive de réactions face à la pandémie, pour des objets aussi triviaux que les masques chirurgicaux ou les gants. Face à l’urgence du redémarrage de l’économie, certains rêvent de retour au « monde d’avant » faisant de la pandémie une simple parenthèse. D’autres veulent au contraire en prendre le contre-pied et prêchent la relocalisation de la production, voire le retour à des souverainetés économiques. La fermeture des frontières nationales à l’occasion de la crise sanitaire a montré, selon eux, que la seule communauté qui tienne le coup en cas de crise est la bonne vieille communauté nationale héritée du passé. Mais ces deux attitudes, en apparence opposées, ont pour point commun de confondre une globalisation économique éminemment réversible et la mondialisation des interdépendances entre l’humanité et la biosphère, entre les sociétés, qui est, elle, irréversible.

Ce faisant, les discours sur la relocalisation et la souveraineté viennent renforcer la contre-réforme nationaliste, incarnée par Donald Trump, ruinant les efforts de multilatéralisme et refaisant de « l’étranger » la figure de l’ennemi, au moment même où la pandémie incarne l’ampleur des interdépendances mondiales et l’incapacité à y faire face en additionnant des souverainetés nationales.

La pandémie pose, à l’échelle planétaire, la question majeure de la responsabilité, depuis les responsabilités de chacun d’entre nous – porter un masque pour protéger les autres – jusqu’à la responsabilité des différents acteurs privés ou étatiques dans l’apparition et la diffusion du virus. Elle rappelle que la santé devrait être un bien commun mondial. Le parallèle est évident avec l’intégrité du climat.

Mais un bien commun n’est pas un « bien sans maître ». Car, comme le dit le proverbe haïtien, « le cochon de tout le monde meurt de faim ». Un bien commun a trois caractéristiques : c’est le bien d’une communauté, qui se reconnaît comme telle ; il est doté d’une gouvernance légitime, reconnue et respectée par tous les membres de la communauté ; enfin, chacun participe équitablement à l’entretien et au développement du bien et tous se partagent équitablement son usage. Reprenons ces trois caractéristiques.

L’humanité constitue-t-elle une communauté ? Aujourd’hui la réponse est négative et le néo-souverainisme, qui sort renforcé de la crise du coronavirus, nous en éloigne encore un peu plus. La caractéristique fondamentale d’une communauté est que chacun de ses membres se sent redevable de l’impact de son action sur les autres membres de la communauté, en l’occurrence l’ensemble de l’humanité et la biosphère. Or, si la responsabilité est au cœur de tous les systèmes juridiques, ceux-ci demeurent pour l’essentiel nationaux. Il n’y aura pas de communauté à l’échelle planétaire sans un droit international de la responsabilité s’appliquant à tous les acteurs privés et publics. Je détaille dans l’ouvrage les conditions d’émergence d’un tel droit.

Même impasse en ce qui concerne la gouvernance . La gouvernance, tant de la santé que du climat, est nécessairement une gouvernance à multi-niveaux, mettant l’accent sur les conditions de coopération entre ces niveaux, ce que ne permettent aujourd’hui ni le fonctionnement de l’ONU ni l’idéologie d’un pays comme la France où l’on a au contraire théorisé la séparation entre les niveaux de gouvernance.

Quant aux modalités équitables d’entretien et d’usage du bien, elles ne sont pas mieux assurées. Dans un billet blog précédent (voir texte joint ) j’ai rappelé que notre gestion actuelle du climat était irresponsable. Qualifier le climat de bien commun mondial impliquerait en effet que chaque nation ait une obligation de résultat à l’égard des engagements pris pour aller vers une réduction de l’empreinte carbone. donc une responsabilité tant politique que juridique vis à vis des autres nations. Or, jusqu’à présent, les Etats se sont bornés à multiplier les  obligations de moyens , sous forme d’engagements volontaires : à l’opposé de la responsabilité. Illustration de l'adage qui sous-tend l’ensemble de mon livre : la somme de responsabilités limitées des sociétés conduit à une société mondiale à irresponsabilité illimitée.

Je montre également dans l’ouvrage que les métamorphoses de la responsabilité conduisent à repenser le contrat social. Ce contrat est l’expression des relations de chaque acteur avec le reste de la communauté, de l'équilibre de ses droits et responsabilités. Avec la relance des économies au prix d’un endettement public massif, ce sont les citoyens, les contribuables, qui devront un jour ou l’autre en assumer les conséquences. Sans même que les entreprises faisant l’objet d’une aide publique soient nationalisées, leur dette, donc leur responsabilité, à l’égard du reste de la société s’est trouvée accrue d’autant. Les gouvernements, conscients du problème, tentent de subordonner l’aide accordée à quelques conditionnalités, notamment écologiques. Mais ce n’est que le petit bout de la lorgnette. Les conditions imposées aux compagnies aériennes ou aux fabricants d’automobiles restent anecdotiques et seront sans doute balayées par les exigences de relance de l’emploi. Il faut aborder le problème de manière plus ample.

Dans la troisième partie de l’ouvrage, je me suis efforcé de cerner les contours du futur contrat social, notamment pour les entreprises et la finance en le fondant sur les principes de la Déclaration universelle des responsabilités humaines



Bien amicalement à tous et bon rétablissement après cet étrange période de confinement.

Pierre Calame