Madame la députée, Monsieur le député,

En France, la Convention citoyenne sur le climat vient de remettre ses propositions au Président de la République. D’ores et déjà elle suscite de nombreuses réactions contradictoires.

Elle constituait, pour la France, une véritable innovation : pour la première fois la démocratie délibérative était prise au sérieux : 150 citoyens, nombreux experts auditionnés, six mois de débat devenus neuf du fait du confinement. Il est intéressant d’en tirer les leçons pour l’Europe, dans la double perspective de la Conférence sur l’avenir de l’Europe et du Nouveau pacte vert.

Ayant suivi de près les travaux de la Convention, j’en tire deux leçons : la démocratie délibérative voit son intérêt confirmé, les 150 citoyens se sont passionnés pour l’exercice, ont travaillé sérieusement, sont parvenus à un consensus ; par contre l’organisation purement nationale du panel de citoyens, le contexte dans lequel s’est déroulé le processus, le mandat donné à la Convention par la Présidence de la République et la méthode fixée par le comité de gouvernance pour le déroulement des débats font que les propositions ne sont pas à la hauteur de l’enjeu et cette faiblesse, si l’on n’y remédie pas dans l’avenir, risque de compromettre l’idée même de démocratie délibérative.

Commençons par le résultat final : 150 citoyens, 150 propositions mises en débat, 149 adoptées, souvent à une large majorité. Ce nombre même est révélateur : d’un côté un problème, c’est-à-dire une logique économique politique et sociale qui nous rend irresponsables vis-à-vis de la sauvegarde de la planète et de l’autre une avalanche de mesures, nécessairement adoptées à la va vite. Ces mesures sont exclusivement des « obligations de moyens » toutes définies au niveau national. Le texte de propositions comporte 119 fois des mots indiquant l’interdiction et 303 fois des mots indiquant des obligations, l’ensemble concernant principalement les citoyens. Les détracteurs de la Convention ont alors bon jeu de dénoncer une « écologie punitive ». On ne vise pas à une évolution globale du système économique, on ne s’adresse pas à la responsabilité des citoyens, des entreprises, des banques, des collectivités territoriales et des Etats, on ne touche en rien aux conditions juridiques d’exercice de la responsabilité, on espère faire évoluer les comportements à coup d’injonctions, depuis le pourcentage de repas végétariens dans les cantines scolaires jusqu’à la limitation de vitesse sur les autoroutes en passant par l’interdiction de la publicité pour les voitures énergétivores. Or, depuis trente ans que l’on reconnaît la nécessité de préserver le climat, cette multiplication d’obligations de moyens a prouvé son inefficacité de même que les accords internationaux successifs, qui n’ont jamais fixé d’obligations de résultat aux Etats.

En outre, autant de mesures ne peuvent avoir s été sérieusement évaluées ni dans leur faisabilité juridique et économique ni dans leur impact, sans parler du fait que bien des mesures relèvent en réalité de l’Union Européenne ou des collectivités territoriales. Une fois passé l’enthousiasme de voir ces citoyens présumés « ordinaires » se saisir d’un sujet aussi complexe et parvenir à un consensus sur des mesures aussi variées, l’inadéquation des propositions à l’enjeu crève les yeux. Ce n’est pas le principe de la démocratie délibérative qui se trouve en cause mais la manière de la mettre en œuvre. Et c’est ce qui est intéressant comme leçon pour l’Europe.

La première question posée concerne l’organisation de cette Convention à un seul niveau, le niveau national. Depuis 2016, je défends pour la Conférence sur le futur de l’Europe l’idée d’un « processus citoyen instituant » en deux étapes, dont vous trouverez ci-joint une présentation synthétique : une première étape au niveau des régions européennes et une seconde au niveau européen. L’application de cette méthode pour la Convention citoyenne sur le climat aurait eu un double avantage : susciter une discussion territorialisée, bien ancrée dans la réalité des territoires ; mieux distinguer les évolutions qui relèvent de la gouvernance territoriale de celles qui relèvent du niveau national et du niveau européen.

Mais le plus important est la manière dont le contexte, le mandat et la méthode suivie ont prédéterminé les conclusions de la Convention.

Le contexte : la révolte des gilets jaunes. Elle a rappelé que taxer le carbone touchait infiniment plus les pauvres que les riches. Pour nos économistes bon teint, et par voie de conséquence nos élites politiques le « signal prix » est le seul moyen global d’agir sur les consommations mais, après les gilets jaunes, les citoyens ne pouvaient que l’écarter. On ne leur a pas laissé le loisir d’en concevoir un autre. Dès lors que n’existait pas d’incitation de tous les acteurs de la société à réduire de façon drastique leurs émissions d’année en année, les seules solutions envisagées sont des contraintes : interdire, imposer ; de la limitation de la vitesse à l’obligation d’isoler les logements en passant par les cantines scolaires.

Le mandat. Il invitait la Convention à ne pas s’attarder sur des questions de fond. Elles ont été traitées rapidement, au départ, quand les membres de la Convention n’avaient pas encore eu le temps de réfléchir et de s’informer. Dès le mois de novembre 2019, les membres de la Convention se sont répartis en cinq groupes thématiques prédéfinis, travailler, se nourrir, se loger, se déplacer, produire, rendant impossible le retour à des questions de fond. Ce faisant on introduisait un autre biais : « vous, citoyens, êtes des experts de la vie quotidienne. Foin de grands débats économiques, politiques juridiques ou philosophiques parlons de ce que vous pouvez comprendre ». Ce qui a en outre polarisé la réflexion sur la consommation visible d’énergie fossile, alors que « l’énergie grise », incorporée dans les biens et services que nous importons, représente aujourd’hui plus de 40 %. de notre empreinte carbone.

La méthode. La nécessité de voter à date donnée des mesures ainsi élaborées dans un cadre thématique, identifiées très rapidement pour permettre une évaluation très approximative de leur impact réel, de leur financement ou même de leur faisabilité ne pouvait qu’aboutir à une telle liste de mesures. Par souci d’efficacité on a imposé un processus linéaire allant du diagnostic au vote ce qui est le meilleur moyen d’éluder les questions de fond : il est toujours ou trop tôt ou trop tard pour les poser.

Quelles leçons en tirer pour l’Union Européenne ?

La première leçon, c’est l’importance même du débat au niveau européen. Si l’on veut passer d’une obligation de moyens à une obligations de résultat, comme je le décris dans une tribune publiée par le journal Le Monde en mars 2020, que vous trouverez ci-jointe, il faut admettre que les émissions de gaz à effet de serre sont plafonnées au niveau de l’Europe, en prenant en compte l’ensemble de l’empreinte carbone des Européens, y compris l’énergie grise, avec un plafond s’abaissant de 6 à 7 % d’année en année. Du fait du marché unique, c’est à l’échelle de l’Union Européenne qu’il est le plus naturel et le plus aisé de gérer ce plafonnement.

Seconde leçon, si l’on enferme, comme c’est actuellement le cas pour le Nouveau pacte vert européen, les discussions dans un cadre sectoriel, on risque de produire les mêmes effets que la Convention citoyenne sur le climat en France : une multiplications d’obligations de moyens, certainement à une meilleure échelle et sans doute mieux évalués mais demeurant néanmoins à la surface des choses. Il suffit pour s’en convaincre d’observer la manière dont, partout dans le monde, se relance l’économie. Pendant le confinement on a vu se multiplier les serments sur le fait que « le monde d’après » ne serait plus comme avant, que les leçons de la crise étaient tirées, qu’il faudrait, pour reprendre l’expression d’Emmanuel Macron « se réinventer » mais, concrètement, toutes les mesures prises visent au contraire à reconstituer le plus vite possible « le monde d’avant », le seul au fond que connaissent nos dirigeants politiques et nos économistes.

Troisième leçon, le recours à un référendum. Le lien entre démocratie délibérative et référendum est intéressant sur le principe. Une Convention de citoyens devrait permettre de formuler les questions soumises à l’ensemble de la population et de purger la démarche référendaire de ses sous entendus politiques qui, au moins dans un pays comme la France, transforment tout référendum en plébiscite pour ou contre le pouvoir en place. Le Président de la République en lançant la Convention citoyenne, avait indiqué que certaines des propositions pourraient être soumises à référendum. Parmi les propositions effectivement formulées, celles qui sembleraient les plus légitimes sont celles qui touchent au préambule de la constitution, en y introduisant explicitement le devoir de préserver la biodiversité et le climat ou le crime d’écocide. Mais, là encore, on mesure la fragilité de la proposition. Une Charte de l’environnement a été introduite dans la Constitution française en 2005 sans provoquer de sérieuses réorientations des politiques publiques.

A la lumière de ces exemples, que pourrait être au niveau de l’Union Européenne un référendum soit à l’initiative du Conseil Européen et du Parlement soit d’initiative citoyenne en conclusion à la fois de la Conférence sur le futur de l’Europe et du débat sur le Nouveau pacte vert ? Il me semble qu’il pourrait se concentrer sur trois questions emboîtées :

a) le climat est-il un bien commun mondial dont la préservation engage la responsabilité de chacun à la mesure de son impact ?

b) si oui les engagements internationaux pris par l’Union Européenne et par ses Etats membres, visant à réduire d’année en année de 6 à 7 % notre empreinte carbone globale engage-t-elle le peuple européen, ses institutions et ses dirigeants ?

c) s’ils sont engagés, nos émissions carbonées globales sont rationnées et diminuent d’année en année. Comment gérer ce rationnement ?

  • en fixant un prix du carbone telle que la demande se trouve réduite dans les proportions souhaitées ?
  • en mettant aux enchères les quantités de carbone autorisées ?
  • en répartissant équitablement entre tous le droit à émettre sous forme de quotas annuels négociables, permettant à ceux qui font le plus d’effort de revendre une partie de leurs quotas à ceux qui veulent garder un mode de vie consommateur en carbone ?

En complément pourrait-être soumis à référendum, une introduction dans les traités européens d’une Charte européenne des responsabilités humaines, transposition à l’Union Européenne de la déclaration universelle des responsabilités humaines, ci jointe, qui viendrait compléter la Convention européenne des droits de l’homme.

Espérant que ces quelques réflexions et propositions pourront nourrir le débat européen, je vous prie de croire, Madame, Monsieur, à à l’expression de ma haute considération.

Pierre Calame, auteur de « petit traité d’oeconomie » ECLM 2018, de « métamorphoses de la responsabilité et contrat social », ECLM 2020 et de « sauvons la démocratie ! », ECLM 20122