Madame, Monsieur

Je me suis déjà permis de vous écrire pour vous informer de l'organisation des Assises du Climat. La dernière des neuf séances des Assises s'est tenue le 8 avril dernier. Les Assises ont montré que l'on pouvait, paradoxalement, mettre à profit le confinement pour enrichir le débat démocratique. Ce n'est pas la moindre de leurs leçons.

Séance après séance, je me suis attaché à en tirer les enseignements. A l'issue des neuf séances c'est tout un panorama qui se dégage, montrant que l'on peut effectivement penser la responsabilité de nos sociétés et confronter les différentes manières de l'assumer. Au moment même où, en France, le débat sur la loi Climat et résilience semble s'enliser dans des discussions sans aucun rapport avec la gravité du réchauffement climatique et avec l'ampleur des transformations qu'il va falloir conduire, où le nouveau Pacte Vert européen, malgré la nouvelle volonté politique de l'Union à l'égard du climat, risque de passer à côté de sa cible faute d'avoir renouvelé la problématique, où le dialogue international redevient possible, il nous faut répéter encore et encore que nous n'assumerons pas notre responsabilité historique sans un renouvellement profond de nos modèles économiques, de notre mode de vie, de notre gouvernance et de notre droit. Sur tous ces points, les discussions des Assises permettent de dégager des propositions précises et parfois décoiffantes. C'est pourquoi j'ai le plaisir de vous envoyer ci-joint la synthèse des leçons et la compilation des enseignements séance par séance.

Vous disposez sur le site www.assisesduclimat.fr d'un sondage permettant d'exprimer, au vu de l'ensemble des travaux, votre point de vue sur les neuf "thèses" relatives à la manière d'assumer nos responsabilités et sur l'évaluation des trois familles de solutions, au regard des quatre critères qui ont été jugés les plus pertinents pour orienter les choix. Vos réponses constitueront une première suite, très précieuse, de nos Assises et leur usage pourrait permettre d'enrichir les débats parlementaires sur la loi climat.

Un mot pour rappeler l'origine, le déroulement et les leçons de ces Assises.

Tout est né d’un constat : avec la Convention citoyenne pour le climat nous sommes passés à côté d’une belle occasion de renouveler la réflexion collective sur la lutte contre le réchauffement climatique. Les membres de la Convention, piégés par leur mandat, par le déroulement des travaux et par les experts qui leur ont été assignés ont accumulé des propositions dont l’impact n’a pas été évalué, et le projet de loi qui oppose aujourd’hui les « réalistes », qui ont rogné toutes les propositions qui déplaisaient aux multiples lobbys, et les « écologistes », qui voudraient revenir  « sans filtre » aux propositions de la Convention, se trompe de combat. Nous avons donc en novembre 2020 publié dans Ouest France un appel à débat pour enfin sortir de l’hypocrisie et nous demander comment assumer à l’égard de nos engagements internationaux une véritable obligation de résultat. L’écho rencontré par l’appel nous a incités, sans moyen financier et sans appui institutionnel, à organiser effectivement ce débat : un cycle de neuf visioconférences étalées sur deux mois pour débattre de la responsabilité de nos sociétés vis à vis du climat et des politiques à mettre en place pour l’assumer.

De février à avril, tous les jeudis, de 18 à 20h, couvre-feu aidant, sept intervenants par séance, les meilleurs sur le sujet, et une centaine de personnes dans la salle virtuelle. Inimaginable sans le confinement, l’habitude prise des échanges à distance et de la discipline de travail que cela requiert. L’ensemble a permis de construire un corpus de connaissances et de réflexions unique, disponible sur le site www.assisesduclimat.fr . Impossible ici de rendre justice à tous les experts qui se sont prêtés à l’exercice, depuis des représentants de la Convention citoyenne sur le climat jusqu’au directeur général du climat au Conseil européen, en passant par la présidente du Haut Conseil pour le climat, le président de l’ADEME, le créateur de la chaire Economie du climat, le directeur de l’École d’économie de Toulouse, le co-président du groupe des Verts au Parlement européen ou encore l’ancienne Ministre de l’environnement, Corinne Lepage.

Principales conclusions :

Notre responsabilité ? Elle découle avant tout de notre niveau de vie et se traduit par l’empreinte écologique de la société, où que les émissions de GES se soient produites. Nous devons réduire cette empreinte à 2 tonnes d’équivalent CO2 par habitant et par an d’ici 2050, soit un rythme de réduction de l’empreinte de 5 % par an pendant 30 ans. Cette obligation de résultat doit avoir une traduction juridique effective, ce qui n’est pas le cas maintenant. D’où la proposition d’adopter une Convention européenne des responsabilités humaines ou une Charte des droits et devoirs de l’humanité, complétant la Convention européenne des droits humains. Le bon niveau politique auquel définir notre obligation de résultat est l’Union Européenne. En raison du rôle des régions et territoires dans la conduite de la transition, seule une gouvernance à multi-niveaux permettra de coordonner les efforts entre l’UE, les États, les Régions et les territoires. Enfin, la réduction de l’empreinte écologique passe par l’émergence de filières durables et équitables : les consommateurs ne doivent pas seulement choisir des produits mais principalement des processus de production, décisifs dans l’empreinte écologique et la traçabilité effective des émissions tout au long des filières.

Comment atteindre le résultat auquel nous sommes engagés ? Trois familles de solutions ont été identifiées : la taxation du carbone ; un éventail d’investissements et de politiques sectorielles ; des quotas individuels égaux pour tous et négociables. Chacune a été passée au crible de quatre critères, la capacité : à mettre en œuvre effectivement l’obligation de résultat ; à évaluer l’empreinte écologique totale ; à concilier réduction de l’empreinte écologique et justice sociale et à découpler recherche du bien-être de tous et réduction de l’empreinte écologique; à mobiliser tous les acteurs publics et privés. Autant les deux premières familles de solutions étaient familières, autant la troisième, qui consiste à attribuer à chaque citoyen un quota d’émissions annuelles égal pour tous et que chacun peut acheter ou vendre aux autres, a été pour beaucoup de participants et d’intervenants une véritable découverte… d’autant plus qu’elle s’est révélée de loin la plus pertinente, en répondant positivement à ces quatre critères.

Espérant que ce corpus d'informations et de propositions nourrira votre propre réflexion et permettra d'enrichir les débats parlementaires en cours, je vous prie de croire, Madame; Monsieur, à ma haute considération

Pierre Calame