Mesdames et Messieurs les députés et sénateurs

La réforme des retraites, menée aux forceps, a aggravé la défiance de notre société à l’égard des institutions : la Présidence et le Gouvernement bien sûr mais aussi l’Assemblée nationale et le Conseil Constitutionnel. Dans un contexte de crise de la démocratie représentative, cette défiance représente un risque sérieux pour l’avenir. La Cour des Comptes, dans son dernier rapport, décrit une administration d’État repliée dans la capitale, les métropoles régionales ou des agences nationales, régentant par préfets interposés une société qu’elle comprend de moins en moins, situation typique d’une société coloniale ; elle souligne aussi l’inflation de l’administration locale avec la multiplication des structures pour pallier les tares congénitales de la décentralisation des années quatre vingt, créant un mille feuille administratif d’autant moins lisible pour les citoyens que les relations entre ces structures ont été renvoyées dans l’impensé. Faute d’une révision profonde du système institutionnel, que le président du Sénat lui-même a appelé de ses vœux en début d’année, on voit fleurir, en réaction à une uniformisation devenue stérile, des revendications régionalistes d’autonomie voire d’indépendance. L’éco-anxiété croit dans la jeune génération : constatant, enragée et impuissante, le contraste entre les rapports alarmistes qui se succèdent, les déclarations péremptoires et contradictoires sur l’ampleur des mutations nécessaires et l’inaction, dénoncée même par le Conseil d’État, qui fait qu’en trente ans l’empreinte écologique de la société ne s’est pas réduite, elle ne voit plus que la désobéissance civique voire l’action violente pour susciter un réveil de la société et des pouvoirs.

Autant de symptômes du fossé entre les systèmes conceptuels et institutionnels hérités des siècles passés et ceux dont nous avons besoin aujourd’hui pour faire face aux défis présents et à venir. Ces systèmes ont créé des habitudes et des corps sociaux qui les pérennisent et sont autant d’obstacles à leur nécessaire métamorphose. A moins de se résoudre à une société illibérale, autoritaire, où une petite élite autoproclamée s’estime en mesure de comprendre les enjeux et de faire le bien du peuple, y compris malgré lui, seul un sursaut démocratique fondé sur une vision claire et partagée de cette métamorphose permettra de combler ce fossé et de conjurer ces risques. Pour cela il faut à la fois une vision et des perspectives fortes de réforme pour l’incarner.

La vision se résume en une phrase : la boussole de la seconde modernité. La première modernité, conçue il y a trois siècles, fonde modes de pensée et institutions économiques et politiques qui nous guident aujourd’hui encore. Son efficacité opérationnelle a reposé sur la spécialisation mais a engendré en retour une formidable crise des relations. La seconde modernité met au contraire en son centre la reconstruction des relations : entre l’humanité et la biosphère, entre les personnes, entre les sociétés, entre droits et responsabilités.

Deux grandes réformes peuvent incarner ce sursaut : la lutte contre le réchauffement climatique : une grande loi de décentralisation.

La lutte contre le réchauffement climatique, quoique concernant chacun de nous et engageant l’avenir de façon irréversible, n’a jamais fait l’objet d’un véritable débat démocratique. On s’en est tenu à multiplier les lois et les structures administratives supposées la prendre en charge. La Convention citoyenne pour le climat, en 2019 2020, a démontré la capacité et le désir de citoyens de s’approprier les termes du problème et de réfléchir ensemble aux réponses à apporter, s’ils disposent d’informations et de temps suffisants,. Malheureusement le cadre de réflexion imposé aux participants à la Convention lui a fait manquer sa cible. Aujourd’hui nous avons besoin d’un grand débat démocratique en deux étapes, régionale puis nationale. La pétition déposée sur le site du Sénat, https://petitions.senat.fr/initiatives/i-1328 ,en précise les termes.

Une grande loi de décentralisation devra acter le rôle central des territoires, c’est à dire des bassins de vie, dans la conduite de la transition vers des sociétés durables. Fondée sur les principes de gouvernance de la seconde modernité, mettant l’accent sur les relations entre échelles de gestion de la société, entre gouvernants et gouvernés, entre acteurs publics et privés, entre politiques, ce qui se traduit par une gouvernance à multi-niveaux, la mise en œuvre du principe de subsidiarité active, la coconstruction du bien public, la diversité des communs et le passage d’une démocratie représentative ponctuelle à une démocratie permanente, cette réforme, qui concilie la double exigence de cohésion et d’autonomie, redonnera à la société le goût de l’initiative et de l’audace.

C’est sur vous, votre lucidité et votre courage que cela repose aujourd’hui.

Je vous prie de croire, Mesdames et Messieurs les députés à ma haute considération.

Pierre Calame

président de Citego, www.citego.org, polytechnicien, essayiste, coordinateur du collectif « osons les territoires », auteur de : « petit traité d’oeconomie » (ECLM 2018), « métamorphose de la responsabilité et contrat social » (ECLM 2020), Manifeste « osons les territoires » (Le Pommier 2022), « petit traité de gouvernance » (ECLM 2023)