Tempête parfaite comme disent les Américains : crise politique et de la dette publique, régression de la transition écologique dans les agendas, concurrence entre investissements militaires et financement de la transition, révoltes des « petits » face à la prolifération des normes, perte de compétitivité de l’Europe face aux USA et à la Chine dont les entreprises bénéficient de coûts énergétiques bien moindres, offensive politique tous azimuts de l’administration américaine contre le modèle européen, et maintenant droits de douane généralisés … l’avenir a l’air bien sombre

Et si c’était au contraire l’opportunité de changer de logiciel politique et économique ? si cette accumulation de catastrophes annoncées sonnait le glas des conformismes inefficaces pour nous obliger à penser, enfin ? Reprenons point par point.

Crise politique et la crise de la dette publique ? Elles signifient : la première que nos responsables politiques sont esclaves, comme disait John Meynard Keynes, d’économistes morts depuis longtemps dont ils ne connaissent même pas le nom et sont incapables de proposer à leurs concitoyens une perspective politique à la hauteur des nouveaux défis ; la seconde que les politiques publiques ne parviennent pas à concilier efficacité et la justice sociale qui sont les deux fondements de la légitimité politique.

Régression de la transition écologique dans les agendas, révoltes des « petits » face à la prolifération des normes  ? Elles ne mettent pas en cause l’urgence de la transition écologique mais notre manière de la conduire, en ne visant pas la réduction de notre empreinte écoogique totale et en privilégiant taxations, obligations et interdictions qui ont un impact d’autant plus fort qu’on est pauvre.

Perte de compétitivité de l’Europe face aux USA et à la Chine dont les entreprises bénéficient de coûts énergétiques bien moindres ? Elle montre que dans l’état actuel de la régulation des échanges entre pays il y a une prime évidente aux pays qui gaspillent l’énergie fossile car l’empreinte écologique qui en résulte n’est nullement prise en compte.

L’offensive politique et économique de l’administration américaine contre l’Union européenne ? Elle montre que nous sommes engagés non dans une guerre économique et commerciale mais dans un affrontement idéologique majeur, entre la vision européenne d’un monde interdépendant qu’il faut apprendre à gérer ensemble (en assumant chacun notre juste part des responsabilités à l’égard des autres et de la biosphère), et la vision de Trump, tout-droit sortie du 19e siècle, d’un monde dominé par la rivalité entre grandes puissances impériales.

Or, il y a une clé de voûte de tous ces défis :  c’est la conception actuelle de la monnaie, héritée de l’époque où les limites planétaires semblaient ne pas exister, qui fait que nous comptons aujourd’hui avec les mêmes unités, euros ou dollars, ce qu’il faudrait développer, le travail humain qui nous unit, et ce qu’il faudrait au contraire épargner, l’énergie fossile. C’est comme d’avoir un véhicule avec une seule pédale pour le frein et l’accélérateur : sortie de route assurée.

J’ai co-organisé en 2021 les Assises du climat, www.aassisesduclimat.fr. Après avoir examiné toutes les options possibles, nous avons conclu que toute stratégie efficace et juste de lutte contre le réchauffement climatique devait respecter cinq critères : une obligation annuelle de résultat (et non des engagements à cinq ou dix ans qui n’engagent que ceux qui y croient) : une répartition équitable des efforts (au lieu de pénaliser les pauvres et de laisser les riches libres de consommer à leur guise) ; la prise en compte de l’ensemble de l’empreinte écologique (au lieu d’une distinction arbitraire entre les émissions sur notre sol et à l’étranger) ; la mobilisation de tous les acteurs (les choix des consommateurs s’imposant aux entreprises tout au long des filières par un effet de cascade) ; le respect du principe de moindre contrainte (le bien public doit être assuré tout en le conciliant au mieux avec les choix individuels).

L’allocation à chacun de quotas individuels égaux pour tous, les plus sobres en tirant parti en revendant éventuellement leurs excédents aux moins sobres, détaillée sur le site www.comptecarbone.cc, satisfait à ces cinq critères. Elle fait des émisions de gaz à effet de serre une monnaie à part entière. Face à la tempête parfaite actuelle elle coche toutes les cases : elle montre que la politique peut se réinventer pour répondre aux défis de demain ; elle n’impose pas de dépenses publiques ; elle remplace la prolifération des normes par l’exercice par chacun de sa responsabilité ; elle a pour fondement la justice sociale ; elle reflète la conception européenne d’un monde interdépendant fondé sur l’exercice des responsabilités mutuelles ; elle prend à revers la stratégie de Donald Trump pour assujettir l’Europe car la prise en compte du « poids carbone » de chaque produit et service va pousser les consommations vers des filières décarbonées sans aucune sanction possible en retour.

Ouvrons le débat public, il est urgent.

Pierre Calame auteur de « petit traité d’oeconomie », ECLM, 2018 membre fondateur de l’alliance compte carbone président de Citego, Cités, territoires, gouvernance, www.citego.org ingénieur en chef des Ponts et chaussées