Chers amis

Dans mon dernier billet blog je vous avais informé de la volonté, suite au bel écho recueilli à l'appel à débat publié dans Ouest France le 10 novembre dernier, d'organiser un cycle de débat pour explorer les différentes manières d'imposer à tous les acteurs une obligation de résultat en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Car tous les rapports convergent pour reconnaître qu'à ce jour les mutations nécessaires pour préserver le climat ne sont ni mises en œuvre ni même conçues. Nous restons plongés dans ce que le grand juriste Alain Supiot appelle un "sommeil dogmatique" pour illustrer l'inertie de la pensée juridique face aux transformations radicales du monde. ce qui fait comme le dit une autre grande juriste, Mireille Delmas Marty, que l'humanité a perdu le contrôle de sa propre destinée.

Nous avons, avec mon ami Armel Prieur, pris le problème à mains nues: organiser un tel cycle de débats sans aucun appui institutionnel et sans moyen financier. car c'est la condition pour créer un espace de réflexion collective indépendant où personne ne tire la couverture à soi. Et ça marche! c'est peut être un signe des temps, le fruit de la double révolution numérique et sanitaire. Nous bénéficions de l'habitude prise maintenant de réunions dans une salle virtuelle zoom et de la facilité de créer un site web, de relayer les visioconférences sur Facebook. Et bénéficions aussi de la prise de conscience générale de la nécessité de changer de braquet et de méthode. Le crédit dont nous disposons du fait du sérieux des travaux menés, de l'ancienneté de nos engagements et de notre total désintéressement -il faut bien que la position de retraité soit utile à la société!- a fait que jusqu'à présent nous avons bénéficié pour chaque séance du concours de personnes d'une qualité et d'une compétence exceptionnelles;

Le site web www.assisesduclimat.eu a été créé pour présenter le cycle, permettre à tous ceux qui le souhaitent de s'y inscrire, sans engagement de leur part d'être pendus à leur ordinateur tous les jeudis de 18 à 20 heures , présenter les documents à l'appui postés par les intervenants, rendre disponibles l'enregistrement complet des séances et une vidéo résumé, présenter les leçons que nous tirons de chacune d'elles. Vous disposez de trois moyens d'y accéder: en vous inscrivant; en suivant les séances en temps réel sur Facebook; en visionnant les séances ou leurs résumés en différé. L'inscription vous donne le moyens de poser des questions ou d'apporter des contributions sur chaque sujet.

Les trois premières séances ont été consacrées à bien poser le problème à l'échelle nationale et européenne. A partir de la quatrième, jeudi prochain 4 mars à 18h heure française, nous allons parcourir la palette des réponses possibles.

Cette quatrième session est un moment charnière des Assises.

Leçons principales des trois premières sessions

Après avoir examiné en première session les questions posées par l’évaluation de l’empreinte carbone totale de la société française et européenne ainsi que par la détermination du rythme annuel de réduction de cette empreinte pour assumer nos responsabilités et engagements de lutte contre le réchauffement climatique (session1), nous avons constaté qu’existait maintenant dans l’Union européenne une réelle volonté politique de prendre au sérieux cette lutte mais que le Pacte Vert en cours d’élaboration n’assumait encore ni l’empreinte carbone totale de la société européenne ni une véritable obligation de résultat (session 2).

La troisième session nous a fait constater qu’en l’état actuel du droit national et international l’irresponsabilité té de nos sociétés, leur incapacité à tenir leurs propres engagements, n’était pas sérieusement sanctionnée. Néanmoins la multiplication des décisions de justice, contre des Etats ou contre des très grandes entreprises, montre que les objectifs que se fixent les grandes institutions en application de l’accord de Paris leur sont opposables et qu’elles ne peuvent plus aussi facilement qu’autrefois y échapper en se fixant des obligations de résultat à long terme : c’est bien sur la réduction annuelle de l’empreinte carbone qu’elles doivent être jugées. La session nous a aussi rappelé qu’il serait trop facile de chercher du côté de l’État ou des grandes entreprises des boucs émissaires : il faut agir à la fois sur l’offre et la demande d’énergie fossile, faire naître chez tous les acteurs une conscience commune de leurs responsabilités et de la nécessité de changements profonds des modes de production et de vie, inventer les mécanismes économiques et juridiques incitant tous les acteurs à ces profonds changements.

Les leçons détaillées tirées de chacune de ces trois premières sessions figurent en pièce jointe au présent billet.

A partir de la session 4, le 4 mars à 18h heure française, nous allons examiner la palette des réponses possibles.

Cahier des charges commun des solutions mises en débat

A l'issue des trois premières sessions, nous disposons du cahier des charges à la lumière duquel juger la pertinence des propositions qui seront débattues au cours des séances 4 à 8 :

1 L’action doit viser à réduire à un rythme annuel défini l’empreinte carbone totale de la société. En bon français et en cessant de tourner autour du pot, cela signifie un rationnement de l’énergie fossile correspondant à cette empreinte, avec abaissement annuel de ce plafond.

2. Il y a obligation de résultat : les mécanismes économiques, sociaux, politiques et technologiques à mettre en place doivent inciter tous les acteurs à transformer qui les mécanismes fiscaux et les financements privés et publics, qui les systèmes de production et d’échange, qui l’aménagement du territoire, qui les modes de vie pour assurer ce résultat et la répartition des efforts de réduction annuelle de l’empreinte.

3. Dans le contexte d’interdépendances économiques planétaires, à travers des filières globalisées de production et un marché mondial des capitaux, il est indispensable pour assumer l’obligation de résultat de saisir les émissions carbonées tout au long de la filière et d’organiser l’évolution de ces filières dans le respect (ou la dénonciation?) des multiples accords multilatéraux, comme l’OMC ou le Traité de la Charte de l’énergie, et bilatéraux qui fixent les règles du commerce international.

4. L’énergie étant présente dans tous les actes de notre vie et quelque soit les revenus des uns et des autres, les solutions adoptées doivent rendre compatible l’obligation de résultat et la justice sociale .

5. Poursuivre le bien être de la société, ne pas renoncer à l’ambition de le développer, tout en réduisant chaque année notre empreinte carbone suppose un découplage radical entre développement du bien être et consommation d’énergie fossile. Malgré trente ans de discours sur l’efficacité énergétique et l’intensité en carbone de nos économies, ce découplage n’a à ce jour été réalisé qu’à la marge. Tout système proposé doit donc dire comment il peut se produire effectivement.

6. La dépendance de nos mode de vie et nos modes de production à l’égard de l’énergie fossile est si étroite que quels que soient les mécanismes économiques, politiques et sociaux choisis pour assurer l’obligation de résultat il faut s’assurer que le changement proposé est physiquement possible, et moyennant quelle réorientation massive des financements et des technologies. Si tout n’est pas prévisible, notamment dans le champ des technologies de rupture, et si on attend précisément de nouveaux mécanismes mis en place de créer une dynamique nouvelle, faisant émerger des solutions aujourd’hui insoupçonnées (et l’exemple des guerres montre combien un peuple est capable de réorienter toutes ses énergies et toutes ses créativités quand sa survie est en jeu), il est souhaitable que les solutions proposées par les uns et les autres s’accompagnent d’un scénario technique montrant l’ampleur des transformations, leur rythme, leur faisabilité technique et financière.

Palette des solutions mises en débat

Il n’y a pas une infinité de manières de gérer le rationnement d’un bien et sa répartition entre toute la population, en réduisant le plafond année après année. En tout cas l’expérience des trente dernières années prouve que se fixer un objectif global puis énoncer une multitudes d’obligations ou d’interdictions supposées permettre d’atteindre cet objectif n’a jamais marché. C’est donc un mécanisme capable de réorienter les volontés et les initiatives de tous les acteurs qu’il faut rechercher. Dans la suite des séances, on distinguera trois familles de solutions :

Première famille : le signal prix. Réduire progressivement la demande en fixant un prix de plus en plus élevé à la tonne de CO2 rejetée dans l’atmosphère et redistribuer les revenus tirés de la vente de cette enchère carbone (la quantité totale émise étant donnée par l’obligation de réduction annuelle) de façon à respecter un principe de justice sociale.

Questions majeures posées :

a) comment prend on en compte les émissions tout au long de la filière ? b) comment fixer le prix année après année pour aboutir à la consommation totale prévue par l’obligation de résultat ? c) comment rendre compatible avec les règles du commerce mondial ? d) si tous les pays n’adoptent pas la même logique, comment maîtriser la fuite des activités économiques vers des pays qui ne jouent pas le jeu ? e) comment éviter que la redistribution des revenus tirés de la taxation du carbone ne relancent précisément les émissions (effet rebond)

Deuxième famille : une politique radicale agissant sur tous les domaines avec des objectifs chiffrés contraignants, en combinant interdictions, obligations, incitations, financements publics et financement de la transition énergétique par l’impôt.

Cette seconde famille souffre du discrédit des promesses non tenues depuis trente ans. Elle a néanmoins fondé tant de scénarios optimistes qu’on ne peut pas la négliger. Elle suppose d’identifier toutes les grandes sources d’émission et de se donner une obligation de résultat avec une sanction claire en cas où le résultat n’est pas atteint. Dans cette démarche, on distingue les efforts menés au niveau des ménages, les efforts menés au niveau des entreprises et les efforts menés au niveau des administrations.

Questions majeures posées

a) qu’est ce qui fait penser que cette fois une telle politique marcherait ? b) peut-on prendre en compte de manière correcte les « émissions importées » alors qu’on est privé de moyens concrets d’influencer les activités hors du territoire concerné (ici la France ou l’Europe) c) comment créer une véritable incitation de chaque acteur ? Quel intérêt majeur a-t-il à transformer radicalement sa logique ? d) peut-on effectivement découpler de cette manière développement du bien être et consommation d’énergie fossile ? e) tout reposant sur la sanction économique ou politique des acteurs qui mettent en place les différents volets de cette transition, comment créer des sanctions effectivement dissuasives et au prix de quels changements juridiques ?

Troisième famille : l’allocation de quotas. Répartir selon une clé prédéfinie le total de l’empreinte entre les acteurs. C’est la gestion la plus directe du rationnement. En son sein on peut distinguer deux sous familles chacune posant des problèmes spécifiques :

-l’allocation de quotas « en amont » visant à plafonner l’empreinte des différentes branches d’activité, auquel cas cette allocation, un peu comme cela se faisait à l’époque des premiers plans quinquennaux en France et plus encore dans la planification des pays communistes, vise à privilégier les branches d’activité jugées prioritaires, y compris les administrations, avec des contrats d’objectifs définissant le rythme de progression de l’efficacité énergétique de chacun d’eux ;

-l’allocation de quotas « en aval », c’est à dire aux bénéficiaires finaux de l’activité économique, les ménages, ce qui revient à créer une « monnaie carbone », chaque achat étant débité en deux monnaies, euro et «unités de CO2 ». La logique générale est une allocation de quotas égale pour tous. Au sein de cette seconde sous famille, un choix essentiel est de savoir si les personnes et ménages les plus frugaux peuvent ou non revendre leur excédents aux plus dispendieux au plan énergétique et à quelles échelles organiser ce marché des échanges.

Questions majeures posées :

a) la traçabilité carbone des filières mondiales pour appréhender, à la manière de la TVA, la totalité de l’empreinte carbone des produits et services ; b) les risques de fraude et de marché noir ; c) la difficulté à appréhender tous les échanges au sein du marché unique européen ; d) en cas d’extension du système au niveau européen, ce qui est le plus logique, la répartition des quotas entre les Etats membres ; e) les modalités techniques de paiement avec les deux monnaies (euros et compte carbone), accélérant la dématérialisation de la monnaie ; f) dans l’hypothèse de points carbone pouvant être vendus et achetés, le risque que les familles les plus pauvres se défassent de trop de points carbone au détriment de leurs besoins essentiels.

Lors de la quatrième session, un premier exposé sera fait de ces différents types de gestion du rationnement, sans questions de la salle. Les session 5, 6, 7, 8 permettront d’examiner successivement chaque famille de solutions. Les participants à la session 4 auront donc toute latitude de poster sur le site www.assisesduclimat.eu leurs questions aux intervenants avant les sessions et un débat sera organisé dans chaque session avec la salle virtuelle.

Voila, chers amis l'état des lieux et les perspectives à court terme. C'est l'occasion de me faire part de votre propre vision et de vos propres propositions; Nous ne serons jamais assez nombreux pour faire bouger les choses dans la bonne direction. Amitiés Pierre