Chers amis

Haut fonctionnaire pendant vingt ans, de 1968 à 1988, au Ministère de l’Equipement, puis dirigeant d’une fondation à vocation internationale, la FPH, pendant près de trente ans et à ce titre attentif aux défis des sociétés aux quatre coins du monde, je suis arrivé à la conviction que le système de pensée et le système institutionnel hérités des siècles passés pour la gestion publique ne correspondaient plus aux défis des sociétés au vingt et unième siècle.

Pour inventer de nouvelles réponses il faut sortir des fausses évidences et, pour cela, repartir d’un concept rendant compte de la gestion des sociétés d’une culture à l’autre et d’une époque à l’autre . J’ai retenu, à partir du livre « l’État au coeur », publié en 1997, le concept de gouvernance. Il me paraît parfaitement approprié, une fois affranchi des connotations néolibérales dont les institutions internationales l’avaient affublé avec les « recettes de bonne gouvernance » dont ils s’étaient faits, à cette époque, les propagandistes dans le monde entier.

Dans les décennies qui ont suivi j’ai approfondi ma réflexion. A l’issue de l’Assemblée mondiale de citoyens de 2001 « la révolution de la gouvernance » s’est révélée l’un des quatre défis communs de l’humanité pour le vingt et unième siècle. Plusieurs livres ont balisé cet itinéraire. Le travail mené en 2022 dans le cadre du collectif « Osons les territoires » a offert un cadre conceptuel d’ensemble : la gouvernance inaugurée en Europe puis étendue dans le monde depuis le dix septième siècle est l’expression dans la gestion publique de ce que nous avons appelé la « boussole de la première modernité », une démarche appliquée à tous les domaines de l’activité humaine et qui a cherché l’efficacité opérationnelle par la spécialisation. Cette boussole a abouti au bout de deux siècles à une crise générale des relations, entre humanité et biosphère, entre personnes, entre sociétés. Répondre à ces crises constitue la « boussole de la seconde modernité ».

Ce mûrissement progressif m’a donné envie d’en faire une brève synthèse. C’est l’objet du « petit traité de gouvernance », publié par les Editions Charles Léopold Mayer, ECLM, en librairie depuis le début du mois de mars.

Le texte comporte trois parties : 1. Une gouvernance issue de la première modernité, où je décris à grands traits les caractéristiques de l’État et de la démocratie représentative, leur crise et les tentatives avortées de les réformer ; 2. La gouvernance au XXI siècle, expression de la seconde modernité, où je présente les principes généraux de gouvernance qui peuvent nous guider pour en conduire la révolution ; 3. Les quatre échelles de gouvernance où j’applique ces principes généraux aux territoires, à l’échelle nationale, à l’Union Européenne, à la planète.

Avec ceux que cela intéresse nous pourrions ouvrir un espace de débat permettant de confronter réactions et propositions. Ecrit pendant l’été 2022, le petit livre ne pouvait évidemment pas anticiper la crise politique née de la réforme des retraites mais celle ci démontre l’urgence, en France, de cette révolution de la gouvernance. Dans le Manifeste « Osons les territoires ! », publié en septembre 2022 par les Editions du Pommier, nous avons déjà énoncé un certain nombre de propositions pour une nouvelle étape de décentralisation. La situation actuelle appelle cette fois une réforme d’ensemble des institutions. Mais, d’après ce que je peux observer, le risque est grand que faute de recul on propose des réformes issues d’un cadre de pensée obsolète. A nous collectivement de l’éviter.

Bien cordialement

Pierre Calame