Chers amis

La réforme des retraites a contribué à approfondir la crise de la gouvernance en France, discréditant au passage la Présidence, le gouvernement, le parlement et, d’une certaine manière, le Conseil Constitutionnel dont l’avis revient à dire que l’interprétation de l’esprit de la Constitution est à la discrétion du pouvoir exécutif.

Plus que jamais nous avons besoin de fixer un cap pour notre société et de renouveler en profondeur notre approche de la gouvernance. Personnellement je n’ai jamais accordé un immense intérêt à l’idée de réforme de la Constitution, s’il s’agit seulement de rebattre les cartes entre Parlement et Exécutif. Le cap est à chercher du côté de la boussole de la seconde modernité, qui m’a guidé aussi bien dans le Manifeste « osons les territoires » que dans le « Petit traité de gouvernance ». Je voudrais en évoquer ici trois applications concrètes : le climat, la décentralisation, l’éducation.

1. Le climat.

Les gouvernements qui se sont succédé à la tête de notre pays n'ont pas  voulu ou pas osé organiser de véritable débat démocratique sur la manière dont la société française doit assumer sa responsabilité globale vis-à-vis du dérèglement climatique. Cette absence contribue à vider la démocratie de sa substance et à aggraver la crise climatique. Chaque nouveau rapport du GIEC est l’occasion d’innombrables discours tous plus alarmistes les uns que les autres, des lois sectorielles se succèdent,  sans véritable débat public, sans cohérence entre elles, sans réelle mesure d’impact. En 2022 a été sortie du chapeau la « planification écologique » et trois ou quatre administrations y travaillent sans apparemment de concertation entre elles et sans implication de la société.

En juillet 2020, dans une tribune au titre évocateur publiée dans la Croix, « après la Convention citoyenne sur le climat sauvons la démocratie délibérative », ci-jointe, j’avais rappelé pourquoi le mandat assigné à cette convention citoyenne et la méthode imposée pour le déroulement des débats n’avaient pas permis, malgré le travail remarquable de ses membres, de rechercher des voies réellement nouvelles pour répondre au défi climatique et l’avait conduite à énoncer des centaines d’obligations et d’interdictions dont la somme n’était ni évaluée ni à la hauteur des mutations nécessaires.

Un principe essentiel de gouvernance est d’adopter des dispositifs adaptés au problème à résoudre alors que nous tendons trop souvent à tenter d’enfoncer une vis avec un marteau ou un clou avec un tourne vis. La lutte contre le réchauffement climatique l’illustre parfaitement. John Meynard Keynes disait : « les hommes politiques appliquent sans le savoir les recommandations d’économistes souvent morts depuis longtemps et dont ils ignorent le nom ». C’est ce qui se passe pour le climat, en refusant de reconnaître que les émissions de gaz à effet de serre doivent être plafonnées et qu’il s’agit donc d’un problème de rationnement. Vous avez peut être noté que dans Le Monde, dans le Soir de Bruxelles la thèse des quotas individuels revient maintenant régulièrement : loin encore de faire l’unanimité elle s’est installée au coeur du débat public ce qui n’est pas rien.

Deux informations importantes à ce sujet :

-nous venons d’obtenir du Sénat la présentation sur son site d’une pétition pour demander une loi globale sur la lutte contre le réchauffement climatique, précédée d’un grand débat démocratique (voir en pièce jointe). Même si les 100 000 signatures nécessaires pour que le Sénat prenne en compte notre pétition sont difficiles à atteindre, il est important que ces signatures soient très nombreuses. Voilà l’adresse internet pour signer : https://petitions.senat.fr/initiatives/i-1328. Tout ce que vous pourrez faire pour faire connaître la pétition autour de vous et dans vos réseaux sera précieux. Sur le site www.debatclimat.fr vous trouverez le détail de la manière dont nous souhaiterions organiser le débat démocratique en deux étapes, régionale puis nationale ;

-il reste important de continuer à approfondir nos réflexions collectives sur la manière dont pourraient fonctionner des quotas carbone et faire le lien avec la gouvernance. Pour cela nous organisons en présentiel et en distanciel une séance à l’Académie du climat le 27 avril prochain de 18h 30 à 21h. J’ai la faiblesse de penser que ce sera riche en contenu (et cette fois zoom fonctionnera pour ceux qui participent à distance…). Vous trouverez les informations à : https://comptecarbone.cc/allies/. Merci pour tous ceux quei sont intéressés de s’inscrire par mail à : contact@comptecarbone.cc. Pour ceux qui participeront à distance (merci de s’inscrire dans ce cas aussi) le lien zoom est le suivant : https://us06web.zoom.us/j/84639075287?pwd=cUx4cFp6bHlPb3FNVjRmK0tNUmptdz09#success

2. La décentralisation

Les partis politiques sont loin encore de reconnaître le rôle majeur des territoires dans la transition mais des voix s’élèvent de toutes parts, y compris au sein de la majorité actuelle, pour dénoncer l’exercice vertical du pouvoir ou, comme le dit joliment un rapport du Sénat, une « addiction au normes », qui impose des solutions uniformes à des réalités très diverses. Le président du Sénat, qui n’a rien d’un boute feu, a appelé lors de ses vœux à une transformation radicale du système de décision. J’ai pris conscience, en réfléchissant aux décennies passées et à ma propre expérience de fonctionnaire de terrain que l’État français, replié après la décentralisation de 1983 dans la capitale, dans les métropoles régionales et dans des agences d’État tout en gardant les principaux leviers fiscaux et réglementaires de l’action publique, agissait de plus en plus en Etat colonial, régentant une société qu’il comprend de moins en moins.

Nous devons nous préparer à une nouvelle étape, décisive de décentralisation, fondée sur les principes de la gouvernance à multi-niveaux. Elle s’impose aussi bien pour la conduite de la transition que pour décoloniser la France et libérer les forces créatrices qui se manifestent dans tout le pays et se heurtent à des murs bureaucratiques. L’idée de « droit à l’expérimentation », sorte de concession faite du bout des lèvres à une société trop active, me fait hurler.

3. L’éducation

C’était une des priorités du « Conseil national de refondation », lancé à grand son de trompe par le Président et disparu des écrans aussi vite. Le discours d’Emmanuel Macron lundi dernier a réaffirmé l’importance accordée à l’éducation mais une fois encore en annonçant une série de réformettes sans rapport avec l’ambition affichée de refaire du système éducatif français un des meilleurs d’Europe (comme vous le savez, la France a aujourd’hui la douteuse particularité de combiner un discours sur l’éducation qui ne parle que d’égalité pour aboutir à l’un des systèmes les plus inégalitaires des membres de l’OCDE ).

Le collectif informel « osons les territoires », a décidé d’apporter sa pierre à la réflexion pour « repenser la sphère de l’éducation et de la formation à partir des territoires ». J’ai déjà eu l’occasion de vous en parler. D’ores et déjà nous avons mis en gerbe de nombreuses réflexions et contributions. Vous retrouverez l’appel de départ et un grand nombre de documents balisant déjà le travail collectif à : https://www.citego.org/bdf_dossier-916_fr.html

Toutes vos contributions seront les bienvenues. Sans anticiper sur les conclusions, il est d’ores et déjà évident qu’un grand mouvement de décentralisation va là aussi s’imposer. Notre « Ecole de la République » est inséparable de la conception traditionnelle de l’État et de la boussole de la première modernité. Sa structuration même et la centralisation de son organisation en font un cas à part comparé aux systèmes de nos voisins. C’est la parfaite illustration de ce que j’ai raconté à propos de la gouvernance dans le Petit traité ; les modes de gouvernance se perpétuent souvent quand les défis qui leur ont donné naissance ont disparu depuis longtemps car se sont créés des idéologies et des corps sociaux qui se perpétuent eux-mêmes et prennent pour des évidences intemporelles ce qui a été une construction historique. C’est ce travail de déconstruction-reconstruction auquel il faut aujourd’hui procéder pour le système éducatif. Ca ne va pas être une partie de plaisir ! Mais c’est indispensable…

Bref, du pain sur la planche. Amitiés à tous et merci d’avance de tout ce que vous faites pour faire avancer les idées et les réformes.

Pierre Calame