Amorcer l'idée d'un compte carbone dans l'Union européenne
Par Pierre Calame le mercredi 1 janvier 2025, 17:02 - Lien permanent
l'emballement du transport aérien est dénoncé dans tous les pays européens comme le plus symbolique de la gabegie des gaz à effet de serre et c’est certainement une des émissions les plus inégalement réparties. Comme avec le compte carbone, le levier d'acceptation démocratique est de récompenser les plus modestes de leur sobriété, 80 % des Européens ne prennent pas l'avion et pourraient monnayer les quotas économisés.
Chers amis
Je vous ai entretenu à plusieurs reprises de ma conviction, forgée dès les années quatre vingt du siècle passé, que la gestion des émissions de gaz à effet de serre en vue de limiter le réchauffement climatique ne pouvait reposer sur les mécanismes du marché et sur la multiplication des politiques sectorielles et des normes mais relevait nécessairement de la répartition équitable de ce qui est en fait une ressource rare, le plafonnement des émissions, donc du rationnement.
Les Assises du climat que j’ai organisées avec Armel Prieur en 2021, https://www.assisesduclimat.fr/, ont bien mis en évidence les cinq critères de pertinence de la lutte contre le réchauffement climatique : la prise en compte de l’ensemble de notre empreinte écologique et non des seules émissions sur notre sol ; une obligation annuelle de résultat, la réduction de l’empreinte, rompant avec ces engagements à cinq ou dix ans sans cesse répétés et sans cesse contredits par les faits ; la justice sociale sans laquelle il est exclu de demander des sacrifices à tous ; une mobilisation de tous les acteurs ; le principe de moindre contrainte qui stipule que pour qu’un pouvoir soit jugé légitime il doit limiter au maximum les atteintes à la liberté de choix. Selon moi, seuls les quotas carbone égaux pour tous et librement échangeables pour que les plus sobres en tirent bénéfice satisfont à ces cinq critères.
Mais cette idée, somme toute évidente, se heurte à de multiples obstacles tant au niveau français qu’européen, qu’il s’agisse de la foi dans l’efficacité du marché ou des modalités des négociations internationales. Les multiples Conventions citoyennes consacrées à cette question dans différents pays d’Europe ont toutes eu le défaut, à l’instar de la CCC française, d’enfermer les participants dans une approche sectorielle qui excluait d’avance tout renouvellement profond de la pensée et de l’action politique. Résultat, une inflation normative qui a le double inconvénient de ne pas respecter la feuille de route fixée pour la réduction des gaz à effet de serre et de renforcer les oppositions à une transition énergétique dont tout le monde pourtant reconnaît la nécessité. L’Alliance Compte carbone, https://comptecarbone.cc/, animée par Armel Prieur et Valérie Cohen, réunit ceux qui en France sont arrivés à la même conclusion que moi.
Comment faire bouger les lignes ? Ces idées nouvelles (à vrai dire vieilles comme la rareté elle-même mais nouvelles dans un monde qui s’est bercé de l’illusion d’une croissance infinie) ne s’imposeront qu’avec l’appui du plus grand nombre et appellent donc une démarche démocratique de réflexion de la société sur elle-même. C’est dans le cas de la France le sens de l’Appel pour des États généraux. Mais au niveau européen ? Nous avons pensé qu’il fallait de la même manière promouvoir une initiative citoyenne en invitant la Commission européenne à organiser des États généraux du climat dans chaque pays. Mais, comme vous le savez, l’empreinte écologique moyenne variant d’un État membre à l’autre il n’est pas possible d’envisager des quotas et un rythme de réduction annuelle de ceux-ci égaux pour tous au niveau européen (la France avec 9 tonnes de CO2 équivalent par personne et par an, l'Allemagne avec 12 et la Roumanie à 6, il faut proposer des taux de réduction annuelle de respectivement 6 % 7% et 4%). Dans ces conditions comment « amorcer la pompe » de façon à faire prendre conscience progressivement de la nécessité des quotas ? Les amis du Compte carbone proposent que ce soit en commençant par les voyages aériens qui ont repris leur croissance après la pause du Covid. Ces voyages s’organisent depuis différents pays d’Europe et une approche trans-européenne est donc légitime. Le kérosène est le même partout : proposer 500 points carbone d'avion Ͼ (ou kilos de CO2 équivalent) à chacun des 450 millions d'européens correspond à l'empreinte européenne du transport aérien (sans les traînées de condensation), quota qu’il faudrait renouveler chaque année avec 8% de moins.
Nous avons pensé qu’une mesure simple comme celle-ci pourrait réunir le million de signatures nécessaires pour qu’une initiative citoyenne européenne soit prise en considération. Même si le transport aérien ne représente que 5 % de l’empreinte écologique des Européens, nous pensons que ce premier pas pourrait avoir une valeur pédagogique : l'emballement du transport aérien est dénoncé dans tous les pays européens comme le plus symbolique de la gabegie des gaz à effet de serre et c’est certainement une des émissions les plus inégalement réparties. Comme avec le compte carbone, le levier d'acceptation démocratique est de récompenser les plus modestes de leur sobriété, 80 % des Européens ne prennent pas l'avion et pourraient monnayer les quotas économisés.
Même si l’on peut craindre d’en rester là, ce qui en ferait une démarche en cul de sac, nous avons pensé que c’est sur une telle mesure simple qu’on pourrait réunir le million de signatures en provenance de toute l’Europe. C’est pourquoi j’ai tenu à vous en informer. Voici le site où vous pouvez signer : https://eci.ec.europa.eu/051/public
Peut être avez vous lu comme moi les données récentes sur l’évolution du climat dans le Bassin méditerranéen, dont la combinaison des sécheresses et des inondations a donné cette année un avant goût. Que la question du réchauffement climatique en vienne en France à sortir de l’agenda politique n’en est que plus surréaliste. Mais ce sera le cas tant que nous ne changerons pas radicalement de mode d’approche.
C’est avec ce souhait que je vous présente à tous mes meilleurs vœux pour l’année 2025
Pierre Calame