Mon billet blog de mai 2017 , écrit immédiatement après l'élection d'Emmanuel Macron était intitulé « renouveler les méthodes du dialogue politique » (pj1). J'y disais ma conviction que c'est sur cette capacité de renouvellement que se jouerait le quinquennat à venir.

La première année n'a pas tenu ses promesses. Accusé par les media de ne pas avoir de programme précis et chiffré, Emmanuel Macron est tombé dans le panneau. Comme ses prédécesseurs, il a fabriqué un programme sur coin de table ; et comme eux il a pensé qu'il serait jugé sur sa capacité à le mettre en œuvre. Au lieu de renouveler les méthodes du dialogue politique il a reproduit les erreurs de ses prédécesseurs, en les aggravant même par l'exercice solitaire du pouvoir.

L'idée de départ du projet européen, les conventions démocratiques, était proche de celle de processus instituant que je défends (pj2). Mais, en ne s'appuyant pas sur les régions, en ne se donnant pas les moyens d'une véritable démocratie délibérative, le projet n'a été que la caricature de son ambition initiale. On peut claironner que plus de mille dialogues citoyens se sont tenus en France, qu'un panel citoyen européen, auquel j'ai assisté perplexe, s'est tenu à Bruxelles au mois de mai et un autre, français, en octobre : aucun, à l'exception peut être du panel citoyen de Bourgogne Franche Comté, n'a été à la hauteur, qu'il s'agisse de la durée des débats ou de l'information préalable des citoyens. Et les concertations lancées tous azimuts ont créé bien des déceptions chez ceux qui ont voulu jouer le jeu et doutent que le pouvoir ait pris au sérieux leurs propositions.

Or, prétendre recourir à la démocratie délibérative sans en respecter les règles, c'est comme utiliser à mauvais escient des antibiotiques : on risque de créer une résistance à l'égard d'une des seules cartes encore jouables pour redonner son sens à la démocratie.

En publiant « sauvons la démocratie ! » en 2012 (pj3), à l'occasion des précédentes élections présidentielles, j'avais, à ma modeste échelle, tiré la sonnette d'alarme, convaincu que l'intérêt apparent porté par les Français aux débats électoraux masquait une très grave crise de la démocratie. Six ans plus tard, avec l'insurrection des gilets jaunes, tout le monde semble en convenir.

Emmanuel Macron a pris en réponse l'engagement d'un « débat national sans précédent » partant du local : c'est ce que j'appelais de mes vœux. Mais tout va être dans la manière.

Le Président ne peut plus se permettre de décevoir. S'en donne-t-il les moyens ? C'est tout l'enjeu des premières semaines de 2019.

Il a décidé de s'appuyer sur la Commission nationale du débat public, CNDP, comme gage d'indépendance du processus. Certes, mais le métier de la CNDP n'est pas celui là ; il est d'organiser un débat public autour de grands projets d'infrastructure. Un débat national sur les politiques majeures de la France est d'une tout autre nature !

Je ne peux donc que répéter les six principes d'organisation des débats de société, exposés en détail dans « Sauvons la démocratie » :

Premier principe : une démarche « de bas en haut ». C'est des territoires, des villes, des régions qu'il faut partir. Les différents acteurs y ont un visage. La complexité de nos sociétés s'y incarne.

Second principe : donner accès au meilleur de l'information. La démocratie n'est pas l'addition des opinions. C'est le résultat du dialogue entre citoyens informés, ayant eu le temps et les moyens de comprendre et de se comprendre. A l'appui de chaque débat, il faut créer un site web ressources où l'on puisse trouver tous les éléments d'information nécessaires : les données du problème ; les solutions adoptées dans d'autres pays ; les opinions argumentées des partis, des syndicats, d'experts aux avis divergents, de la société civile organisée.

Troisième principe : tirer au sort, dans un échantillon significatif de territoires, un panel d'une trentaine de citoyens pour refléter la diversité de la société. Leur donner les moyens et le temps de l'échange. C'est cela investir dans la démocratie. Mettre à profit internet : pour que ces panels échangent entre eux et que chacun puisse poser aux experts, au bénéfice de tous, les questions qu'il souhaite ; pour que l'ensemble de la population bénéficie de l'information donnée aux panelistes et des avis qu'ils formulent.

Quatrième principe : réunir les expériences les plus significatives et les propositions les plus décoiffantes, d'où qu'elles viennent. Bien des innovations existent. Le monde est vaste. Les autres sociétés sont confrontées aux mêmes problèmes. La diversité des réponses apportées doit être rendue accessible. Et surtout il faut se garder, comme je l'ai illustré dans mon billet de novembre, de mettre du vin nouveau dans de vieilles outres, de recourir aux vieilles recettes quand le monde est en pleine mutation. Il faut ouvrir aux panelistes de nouveaux horizons, de nouveaux modes de pensée. Je pense par exemple, en réponse à l'échec de la taxe sur les carburants, au système généralisé des quotas négociables et à la création d'une « monnaie énergie ».

Cinquième principe : écrire des cahiers d'espérance. L'expression, inventée pour les Etats généraux de l'économie sociale et solidaire, est belle et juste. Les cahiers de doléances ne suffisent pas. Il faut se projeter dans l'avenir. Oser des propositions. Certaines seront utopiques. Toutes, issues de tels dialogues, seront utiles. Confronter entre eux ces cahiers d'espérance. Alors pourra commencer le débat politique proprement dit, l'expression des forces sociales organisées et des différentes sensibilités politiques.

Sixième principe : passer des propositions à des stratégies de changement. Elles impliquent une grande diversité d'acteurs. L'évolution du cadre légal n'en est qu'une petite partie : on ne change pas la société par décret. Souvent, c'est l'évolution du système de pensée lui-même, la conception des institutions, la pratique quotidienne des acteurs qui doivent changer.

Je disais dans « sauvons la démocratie ! » que la politique doit être avant tout une éthique et une méthode. Les méthodes utilisées doivent être en phase avec ces principes. J'en évoquerai deux que j'ai expérimentées.

La première, présentée dans mon billet de novembre, est celle de l'atlas relationnel : elle permet à un groupe de se représenter les liens entre les questions abordées (pj4).

La seconde, la méthode « desmodo » (en grec « desmos » signifie « le lien ») permet à un groupe de construire une synthèse à partir des contributions des uns et des autres selon un processus transparent : c'est souvent là que le bât blesse, la synthèse semblant sortir du chapeau et refléter ce que les organisateurs voulaient faire dire au groupe plus que ce que les membres du groupe ont dit. Vous trouverez en pj5 une illustration concrète de la méthode, la synthèse des travaux de « climate chance », en 2017.

On dit souvent que le diable git dans les détails. En démocratie, le diable git dans les méthodes.