Les grandes manœuvres ont commencé, entre missions d'inspection au sein des Ministères et commissions d'enquête de l'Assemblée nationale et du Sénat, pour revoir les missions des agences et opérateurs de l’État qui prolifèrent depuis des décennies, chaque nouvelle mission appelant la création d'une nouvelle institution dans une démarche clairement inflationniste, au même titre d'ailleurs que la multiplication des niveaux de gouvernance pour remédier tardivement aux erreurs des lois de décentralisation de 1982,83. Je ne connais que celles et ceux qui traitent de près ou de loin des territoires et de la transition vers des sociétés durables, auxquels s'ajoute la prolifération de réseaux de collectivités, de chercheurs ou de la société civile qui, au niveau français et européen, traitent tous plus ou moins des mêmes sujet. Dans ce domaine, deux idées me paraissent évidentes mais se heurtent à des résistances corporatistes: la décentralisation des compétences; la mutualisation des expériences.

1. La décentralisation des compétences. L'idée est exposée dans le travail collectif ci-joint mené en 2021 et 2022: "osons les territoires!". . Avec la décentralisation, l’État a gardé l'essentiel de son pouvoir et de ses moyens financiers mais s'est replié sur les métropoles régionales et les services centraux, continuant à régenter une société qu'il connaît de moins en moins. La prolifération des Agences lui sert à agir sans pour autant lui apporter cette connaissance. On a centralisé des compétences techniques sectorielles que l'on prétend mettre à disposition de territoires qui, eux, manquent souvent cruellement des ressources humaines polyvalentes nécessaires pour conduire la transition. L'intervention des Agences spécialisées, sectorisée par nature, alors que tout le monde sait qu'il faudrait des compétences "systémiques", multidimensionnelles, s'apparente à ce que j'ai appelé "l'apprentissage jetable": beaucoup d'énergie à chaque fois pour comprendre le contexte mais cette compréhension ne sert plus à rien une fois l'intervention passée. La première exigence serait donc de "mettre les compétences sur le terrain" en développant dans chaque territoire des équipes polyvalentes travaillant en réseau, en redistribuant les ressources humaines des Agences dans les territoires. Rien n'empêche que les compétences spécialisées mobilisées au niveau national soient localisées dans des territoires particuliers et travaillent en réseau. Quand la France s'est trouvée, dans les années soixante, confrontée à une croissance urbaine rapide à laquelle les structures administratives locales n’étaient pas préparées, l’État a cofinancé durablement des Agences d'urbanisme travaillant en réseau. C'est ce qu'il faudrait refaire aujourd'hui pour la transition.

2. la mutualisation obligatoire des expériences. En vingt ans réseaux et agences se sont multipliés, traitant tous des mêmes sujets, la transition au sens large. Tous tiennent d’ailleurs à peu près les mêmes discours. Mais la plupart documentent mal les expériences territoriales et, surtout, aucun ou presque ne mutualise ces expériences avec les autres. Et c'est tout aussi vrai au niveau de l'Europe. 5 DG au moins de la Commission ont créé leur propre "réseau de collectivités" pour mettre en œuvre leur politique sectorielle sans aucune mutualisation entre eux. Il y a là une véritable gabegie de l'argent public à laquelle on pourrait très facilement mettre un terme, en créant une "communauté de sites ressources sur les territoires et la transition". Avec l’association Citego j'en ai créé tous les outils mais tant qu'il n'y aura pas d'impulsion politique chacun continuera à courir dans son couloir.

Pierre Calame

préisdent de Citego